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aimait à se plaindre, comme elle aimait à conter ses joies, et 1 on trouverait alors des traces de ses confidences dans les lettres de sa tante à son père. La duchesse Sophie aurait seulement attendu d’avoir repassé la frontière, à cause du cabinet noir, pour aborder un sujet aussi délicat. Un billet d’elle à Charles-Louis, daté de Paris, contient ce post-scriptum en allemand : « On dit que toutes les lettres sont vues avant d’être expédiées. » Elle avait profité de l’avis pour elle-même, et il est aisé de s’apercevoir, en lisant la suite de sa correspondance, qu’elle avait ajourné certaines questions à son retour en Allemagne. Mais celles qui regardaient l’intérieur de Liselotte n’étaient point du nombre. Elle n’avait rien eu à cacher. Elle n’avait rien dissimulé de ses impressions sur Monsieur ; c’était en toute sincérité qu’elle s’était exprimée sur son compte, à chaque occasion, avec une bienveillance qui ne laissera pas de surprendre en France, où ce personnage équivoque a toujours rencontré peu de sympathie. Jamais non plus, dans ses lettres à son frère, elle n’a varié sur le parfait bonheur de Liselotte. Au surplus, voici les textes.

En revenant de Fontainebleau, où elle a vu la famille royale de près, la duchesse écrit : « (4 septembre.) Je vous puis assurer que Madame votre fille occupe un poste bien agréable et dont elle est fort contente. » Du 13 : « Si je me voulais mettre sur les louanges de (Monsieur), je n’aurais jamais fait ; je trouve Madame une des plus heureuses femmes du monde. » Elle passait dans la même lettre à Louis XIV, qui l’avait « rendue si contente de lui, » et ajoutait : « C’est effectivement un roi qui est singulier de toutes les manières et qu’on ne saurait voir sans l’admirer beaucoup. Il a beaucoup d’amitié pour Madame, et vous devez être bien persuadé, Monsieur, qu’elle s’attire l’estime du Roi par sa conduite, car elle n’est infectée d’aucune coquetterie, et je puis vous assurer qu’elle me fait grand honneur, quand elle dit que je l’ai élevée. » Ce passage est à retenir. Il avait pour objet de rassurer Charles-Louis, qui s’effarouchait, en père prudent[1], de l’étroite camaraderie de Madame avec un monarque galant et de bonne mine. La duchesse Sophie répondait du Roi, et elle avait raison ; sa chère Liselotte, qui ne se regardait jamais dans une glace « par amour-propre, » n’était pas faite pour inspirer un sentiment plus vif que l’amitié ; mais

  1. Voyez, entre autres, une lettre que Charles-Louis écrivait à sa sœur le 23 septembre 1616, et la réponse de la duchesse Sophie, le 15 octobre suivant.