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qu’elle avait reçu en une seule fois, pour son jeu ou son argent de poche, plus que Charles-Louis ne donnait en un an à tous les Raugraves, ses gémissemens ne trompaient personne, et elle n’était pas populaire parmi ses frères et sœurs.

On le sent à la peine que prend la duchesse Sophie, dans sa correspondance avec les Raugraves après la mort de leur père, pour justifier Liselotte des reproches de mauvais vouloir et de ladrerie. Sans cesse elle explique que « la chère Madame a peu de crédit, » et qu’elle n’est pas riche ; « aussi ne devez-vous pas trouver étonnant qu’elle ne fasse rien pour vous. » Si Madame ne répond pas quand on lui demande un service, c’est sans doute « qu’elle a honte de ne rien pouvoir pour eux, » mais son cœur n’a pas changé : « Je sais… qu’elle a toujours de l’affection pour tous les Raugraves[1]. »

Madame renchérissait, en toute sincérité, sur les protestations de sa tante, et cependant se dérobait à chaque mise en demeure, parce qu’elle avait un peu de l’avarice de son père, un peu de son égoïsme, un peu de la vanité de sa mère, et qu’elle avait plus envie de garder son argent, de ne pas faire de démarches ennuyeuses, et de ne pas s’embâter d’une famille peu reluisante, qu’elle n’avait envie de voir « le très cher Carl-Lutz » ou « la Bien-aimée Louisse » et de contribuer à leur prospérité. Son père lui ressemblait trop pour ne pas la comprendre, et il « se mangeait le cœur[2] » en pensant à ce qui attendait après lui les enfans de Mlle de Degenfeld.

Il était trop évident que ce n’était rien de bon. Le prince héritier[3], celui qui ressemblait à Thomas Diafoirus, voyait sans plaisir grossir ce régiment de Raugraves qui était déjà une charge et pouvait devenir un danger. Sa femme, Wilhelmine-Ernestine, que la duchesse Sophie, en la proposant pour son neveu, avait garantie indolente et sans volonté, s’était au contraire déclarée fort rudement contre la bigamie de son beau-père, et n’avait même pas été désarmée par la mort de Mlle de Degenfeld, survenue en 1677, à la naissance d’un quatorzième enfant. Quand la douce Louise avait senti la vie l’abandonner, elle avait fait ses adieux avec sa résignation et sa modestie

  1. Briefe der Kurfurstin Sophie, etc., an die Raugräfinnen, etc. Lettres du 24 novembre 1697, du 28 octobre 1688, du 20 janvier 1689 et du 11 octobre 1691.
  2. Lettre de Charles-Louis à la duchesse Sophie, du 23 février 1674.
  3. Charles, fils de Charles-Louis et de sa femme légitime.