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Prenez un homme quel qu’il soit, vous pouvez être convaincu qu’il y a en lui des tendances contradictoires, car nous en portons tous en nous dès la naissance. Soyez convaincu de plus que, dans les circonstances extérieures, il y aura toujours quelque chose de nature à encourager successivement les unes et les autres. Soyez convaincu que si la laideur a ses périls, la beauté a les siens, que si juillet a ses tentations, janvier a les siennes, que si la pénurie des récoltes peut compromettre l’intégrité morale de beaucoup de gens, l’abondance et le bon marché des denrées risquent de la compromettre encore davantage. Sans proscrire en aucune façon ces recherches très intéressantes, il en est une plus importante de beaucoup, c’est celle qui étudie les conditions sociales que la vie collective d’un pays fait à ces individualités toujours difficiles à débrouiller, même pour elles, toujours fragiles, toujours en peine de se tenir debout.

Parmi ces conditions, il en est qui dépendent du public, des honnêtes gens et de ceux qui ont à cœur de mériter ce titre ; il en est qui dépendent du pouvoir.

Les « honnêtes gens » ont à se dire que les criminels ne sont pas tous dans les prisons et que, parmi ceux qui y sont, beaucoup sont sans doute victimes des excitations, des exemples, quelquefois des injustices de ceux qui n’y habiteront jamais. Ils ont à se dire que c’est n’être arrivé qu’à une justice imparfaite et n’avoir que des droits incomplets à réclamer la punition du coupable, que de n’avoir fait aucun effort pour le préserver, que de n’en faire aucun pour le redresser et le réhabiliter.

Quant aux pouvoirs publics, leur devoir est double. Ils ont à assurer aux influences moralisantes, aux œuvres de patronage et d’assistance toute la liberté nécessaire. Ils ont ensuite à exercer la répression avec vigilance et fermeté. Si le délit se reprend à augmenter, si l’alcoolisme l’entretient et le développe, pour ainsi dire, indéfiniment, n’est-ce pas parce que le pouvoir, affaibli pour le bien par l’incohérence de ses compromissions, incline de plus en plus à abdiquer ses vrais devoirs ? De là, dans ce qu’on appelle proprement « la justice, » fléchissement, incertitude, doute universel, absence de courage pour résister ; car on ne sait plus à quoi et au nom de quoi on a le devoir de résister.


HENRI JOLY.