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pensaient toutefois, — et les confusions de la statistique criminelle les y invitaient, — que le divorce ne pouvait être séparé du veuvage, que l’un et l’autre subissaient les mêmes fatalités sans qu’on put incriminer celui-là plutôt que celui-ci. Eli bien ! d’après l’analyse des suicides tout au moins, la confusion n’est pas possible. En 1905, sur 3 252 353 veufs, il y a eu 1 908 suicides, soit 57 sur 100 000 ; sur 85 970 divorcés, il y a eu 214 suicides, soit 237 sur 100 000. De 57 à 237, l’écart est significatif.

Je ne prétends pas qu’on en doive supposer un semblable dans la sphère du crime proprement dit ; car souvent le suicidé, il n’y a pas à le nier, ne se tue que parce qu’il ne veut attenter ni à la vie, ni à la propriété, ni à l’honneur d’autrui. Mais enfin ni la crainte, ni le souvenir d’un veuvage n’excitent les sentimens si dangereux qu’avivent l’idée, le projet, la préparation volontaire et les conséquences inévitables d’un divorce. Transformation d’un amour ancien en une haine non moins vive, — car souvent persiste sous la seconde forme, si différente, une égale violence et un égal aveuglement, — exagération imaginaire de tout ce dont on croit avoir à se plaindre, besoin de justifier n’importe comment le désir de la rupture et parti pris de la rendre irréparable par les griefs mêmes qu’on donne contre soi, tout cela ouvre une brèche par où passent bien des suggestions criminelles ne demeurant pas sans effets.

Il nous reste à résumer les données que ce coup d’œil sur l’heure présente nous révèle.

Incontestablement la criminalité est en augmentation[1].

Cette augmentation n’est pas un fait inévitable et fatal, ni la rançon obligatoire et forcée des progrès de la civilisation dans la seconde moitié du XIXe siècle, car elle a été suspendue à certaines époques, dont deux sur trois au moins sont signalées par la vigueur et non par l’affaiblissement de la vie nationale.

Il faut néanmoins, dans la troisième de ces périodes favorisées, démêler ce qui était dû à un affaiblissement systématique de la répression, et ce qui était dû au développement d’œuvres sociales et charitables ; car celles-ci n’ont pu être arrêtées dans leur essor par l’action de la politique, sans que

  1. On sait d’ailleurs à quel point elle a augmenté dans d’autres pays.