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citation, des pertes de temps au Palais, l’inquisition de la police, les insinuations blessantes de l’avocat de la partie adverse. Ces résultats sont sûrs : les autres le sont-ils autant ? C’est douteux. Il y a là pour beaucoup une raison suffisante de s’abstenir. Si on a pu donner des preuves de l’esprit de plainte et de vengeance chez quelques-uns, on a donc pu en donner aussi, — on n’y a point manqué, — de cet esprit de scepticisme et de découragement. Il est fréquent surtout chez les négocians, chez les restaurateurs, chez tous ceux pour qui le temps c’est de l’argent. On dit que la plainte civile coûte trop cher et effraye, ainsi bon nombre de plaignans. Mais pour ceux qui ne peuvent pas faire les frais d’un procès sérieux, n’y a-t-il pas l’assistance judiciaire, dont l’emploi ne cesse de grandir ? Non ! ce qui amène l’accroissement des plaintes au criminel, ce n’est pas autre chose que l’accroissement inouï des opérations financières et des opérations financières frauduleuses, avec les innombrables combinaisons qu’a inventées l’esprit de déloyauté. Paris a eu ses fausses banques, ses monteurs d’affaires imaginaires, ses rédacteurs de circulaires promettant des gains infaillibles, mais réduisant d’avance à l’impuissance, par des artifices de style, les réclamations de leurs victimes. Quant à la province, elle a eu sa crise des notaires. Le Compte général adressé pour l’année 1892 au Président de la République par le garde des Sceaux Trarieux disait (page 13) : « La criminalité des notaires est devenue quarante-trois fois supérieure à celle de la moyenne des citoyens français. » Elle venait de doubler en seize ans. Dans un certain compte, la Chancellerie avait pu évaluera 13 millions les pertes causées à leur clientèle par 46 notaires accusés dans le cours d’une même année, l’année 1889 ; et ces 46 n’épuisaient pas la liste des déconfitures de l’année qui en avait compté 103. Telle petite étude de campagne qui, à ma connaissance, s’est vendue 20 000 francs, a vu son avant-dernier titulaire condamné en Cour d’assises après réponses affirmatives faites par le jury à trois cents questions sur trois cent quarante. Or, combien de cliens avaient pris l’initiative de porter plainte ? A peine deux, qui habitaient Paris ou une grande ville. Les gens du pays ne bougeaient pas, et s’il n’y avait eu qu’eux à souffrir de la déconfiture, on peut affirmer sans hésiter qu’aucune sanction ne serait intervenue. Ils avaient été si heureux de toucher 5 p. 100 de leurs dépôts : ils ne parvenaient pas à s’expliquer qu’ils n’étaient payés que sur