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Et voilà que je m’égare encore, tant tout est dans l’Inde et tant l’Inde est dans tout, avec cette restriction principale que plus on s’éloigne du Nord thibétain plus on voit pâlir l’éclat du flambeau de la science. Si l’Inde dravidienne n’avait pas son art plastique, il n’en serait pas question sur la terre. Ainsi l’amour de la philosophie, pour m’avoir éloigné de Genji, m’y ramène pour admirer les puissantes architectures semées dans tout le Carnate par les races dominatrices de Vijianagar. C’est aux souverains de ces dynasties que l’on doit attribuer les circonvallations et les acropoles de Genji. Le merveilleux appareil des murailles, la perfection et la solidité des assemblages, l’emploi des monolithes où l’on se joue du poids par la solidité des aplombs, tout, dans les parties anciennes, crie la gloire des vieux rois cholas et de leurs descendans qui élevèrent les majestueux ensembles de Humpi. De Genji, dont je foule enfin les dalles, je vous dois, en justice, une description sincère et fidèle. Mais, en tout, l’on doit savoir se borner. Dans ma dernière lettre[1], je vous promettais l’histoire de chaque pierre, la légende de tout recoin, sans en excepter les contes de bonne femme, comme celui du puits où l’on « jetait les prisonniers pour les faire mourir de faim, » alors que ce récipient de pierre devait être quelque citerne à beurre réservée aux usages liturgiques, ou, plus modestement, quelque magasin à riz. Si je me laissais aller à mon enthousiasme de pèlerin, c’est un autre Hérodote qui vous écrirait, et le nombre sacré des Muses ne suffirait pas à chiffrer les volumes que vous recevriez de Genji.

Ce matin, j’ai gravi les huit cents degrés de pierre qui mènent au pagotin culminant du Radjah-Ghiri, le plus haut des trois points fortifiés qui dominent l’enceinte. Mais pour vous en parler, avec quelque utilité dans le détail, je dois vous dire ce

  1. Cette lettre, la seule des trente et quelques, expédiées de l’Inde pendant mon séjour de 1901, qui ne soit pas parvenue à son adresse, fut détournée par un de mes adjoints auquel j’avais eu la simplicité de la confier pour qu’il la recommandât à la poste de Tindivanam. Cette lettre qui contenait des renseignemens détaillés sur la position des monumens les plus importans des trois enceintes, position repérée sur le plan annexé, avec les noms des lieux et les côtes, me fait aujourd’hui cruellement défaut, puisque la base même de mon travail est perdue. J’ai essayé de suppléer par la mémoire à ce manque de renseignemens écrits, mais je dois renoncer à fixer l’emplacement des débris musulmans du Kalyana et de ses dépendances, ainsi que les rapports de la pagode ruinée de la rivière avec le reste de Genji, etc.