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pays pour en connaître l’histoire, d’honorer un saint pour posséder les particularités de sa vie, d’exercer la profession de braconnier pour savoir la zoologie, d’être appointé comme bedeau pour mériter de s’asseoir parmi les Antiquaires de France, que sais-je encore ? Les traditions locales sont bonnes à noter, nous en sommes d’accord. Encore ne convient-il pas de les prendre pour vérités démontrées. Il en va des pandits, des fakirs, des magiciens, comme de ces diseurs de bonne aventure, ou de ces astucieux prestidigitateurs qui émerveillent leur monde à bon marché.

Dans l’Inde, cependant, on observe des choses tellement singulières que toute précipitation doit être bannie du jugement. Nier de pied ferme est souvent aussi dangereux que déployer une trop innocente confiance. L’historiette que je vais vous raconter, et dont je vous affirme la véracité indéniable, peut servir d’exemple.

Il y a quelques années, — en 1896, exactement, et au mois de novembre, — je me trouvais de passage à Bombay, revenant d’Arabie et me rendant à Mathéran. Je fus accosté, sur la place de l’Hôtel Watson, par un de ces Cachemiriens errans qui exercent le métier de chiromancien. Par désœuvrement, je tendis ma main droite à ce montagnard, car, au contraire des liseurs de pensée européens, ces Asiatiques ne consultent jamais la main gauche. Cet Indien chétif regarda avec beaucoup d’attention ma paume, mes doigts. Et je me préparai à écouter les vérités premières et les prédictions ambiguës dont ces industriels tiennent boutique. Grande était mon erreur. Jamais je n’ai rien entendu de tel. L’homme basané, palpant délicatement ma main, me débita lentement le compte rendu le plus exact de ma vie passée. Il la prit depuis ma petite enfance jusqu’au moment présent. Je ne le trouvai pas en défaut sur un événement, une concordance de date, qu’il s’agît de moi ou de ceux qui m’ont touché. Méthodiquement il disséqua mon être. S’élevant au-dessus des faits, il découvrit ma personne morale, dégagea-le caractère du tempérament. Il me donna mon procédé de travail ; puis il me parla de ces douleurs profondes et intimes que l’on ne confie point, et il n’en ignorait rien.

Une pareille analyse dépassait les bornes du convenu. Mais le Cachemirien connaissait, comme le reste, le goût excessif que je nourris pour la vérité au point de toujours l’accueillir,