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Tels furent les premiers effets de la protection que me donna, au cours de ma mission, le gouvernement de Madras. L’incriminer serait d’une malveillance puérile. Le grand Collecteur, tout comme moi, se serait trouvé désarmé devant cette méchanceté sournoise dont l’Hindou abonde pour l’étranger. L’éternelle histoire recommençait de l’Inde foncièrement inhospitalière où le soudra se laisserait plutôt tuer sur place que de donner à boire dans son pot à un mourant de caste inférieure. Tout en respectant les us et coutumes, je devais pourtant assurer la subsistance de mon monde. Mais je devais, surtout, ne pas créer d’incident délictueux en cet Empire où le statut britannique livre les Européens, — à l’exception des Anglais, s’entend, — à la juridiction des tribunaux indigènes. Je donnai l’ordre à Cheick Iman de retrouver les pions anglais, ses coreligionnaires en l’Islam. Il les découvrit, comme par hasard, assis dans une maison du village, et me les amena. Requis de chercher le manikarin et de le faire comparaître, ces hommes de police furent avertis que je les rendais responsables. Faute à eux de me présenter ledit manikarin, je demanderais qu’ils fussent punis par le tassildar de Tindivanam.

Ainsi sommés dans les formes, les pions à baudrier durent s’exécuter. Le manikarin parut, ou un Hindou se donnant pour tel. Sa mine était douteuse et son vêtement peu soigné. À la lueur d’une torche, il s’avançait, suivi par des serviteurs qui portaient deux fauteuils ruinés et des panelles de terre pleines d’eau. C’était tout ce qu’il pouvait offrir. Le bengalow des voyageurs, pour n’avoir, à vrai dire, jamais servi, tant les passagers anglais sont rares en ces contrées, abritait le bétail. Aussi se trouvait-il dans un tel état que jamais manikarin n’oserait le mettre à la disposition de gens de notre importance.

La raison était suffisante ; et l’excuse était véridique. Cheick Iman avait visité le bengalow. Les bœufs de nos charrettes l’occupaient. Un pied de fumier en matelassait le sol, et à hauteur d’appui les murs se tapissaient de bouse de vache. Nous ne pouvions obliger un Hindou à nous loger sous son toit, à moins que l’Inde renonçât, en cette nuit pluvieuse, à ses habitudes séculaires. Déballer ma tente et la dresser demandait une heure de travail. Nous en avions deux ou trois à passer encore sur la route. Le tamarinier nous abriterait donc et nous remerciâmes le manikarin de ses deux fauteuils en rotin dont l’un n’avait