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colosses, Jules II et Michel-Ange, qui se ressemblaient d’une manière surprenante par la force et l’énergie du caractère. Il mit près d’eux, et connue par une sorte d’opposition, le peintre qui personnifie la grâce, la douceur, l’eurythmie, le divin Raphaël. Connaissant tous les trésors du Vatican qu’il avait scrutés à fond dans ses longs séjours à Rome ; s’étant voué, dès sa jeunesse, au culte de l’art dans ce qu’il a de plus élevé et de plus parfait, il avait pour ces deux génies, Michel-Ange et Raphaël, une sorte d’adoration. L’œuvre cyclopéenne du premier, l’œuvre angélique du second le jetaient, le plongeaient dans l’extase. Aussi a-t-il décrit leurs chefs-d’œuvre avec une passion d’artiste et un goût de poète. La Camera della Segnatura, la Chapelle Sixtine n’ont pas eu de juge plus compétent et plus raffiné. Devant les Prophètes et les Sibylles, c’est à peine s’il ose élever une critique : « Qui sommes-nous, dit-il, pour reprendre Michel-Ange et vouloir lui demander compte de son œuvre ? Comme Jéhovah, il est ce qu’il est : Ego sum qui sum ; et il a créé son monde dans l’omnipotence de sa volonté inscrit table. C’est à nous de courber la tête et de mettre la main devant la bouche, ainsi que l’a fait Job. » L’étude de la Messe de Bolsène et du Châtiment d’Héliodore, les Chambres de Raphaël, le ravissent aussi par leur harmonie. Il loue le grand pape qui a compris ces génies et leur a commandé, inspiré des œuvres qui soulèveront l’admiration et l’enthousiasme autant que durera le monde. Ce Jules II nous apparaît avec sa grandeur surhumaine, sa fierté, son orgueil, sa volonté et son énergie souveraines, sa puissance conquérante. Tel est cet ouvrage dont Tarnowski a dit avec l’assentiment de ses compatriotes : « Le sentiment national peut être fier à juste titre que ce soit un Polonais qui ait ajouté ces pages remarquables à l’histoire de l’art. »


Lorsque parut la Papauté et la Renaissance, lorsque les premiers exemplaires du livre arrivèrent en 1899 à Cracovie, Julian Klaczko avait été frappé d’un mal qui ne pardonne guère, d’une hémiplégie. Il sévit presque réduit à l’immobilité, et sa mémoire parut s’oblitérer. Un commencement d’aphasie lui rendait la conversation très difficile et très pénible. Mais la pensée, inaccessible aux injures du corps, demeurait aussi claire et aussi ferme qu’autrefois. Dans cet édifice ruiné, dans ces débris lamentables, l’âme entière survivait. Klaczko n’avait point tiré