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sa vanité majestueuse, — « Il se mire dans son encrier ! » disait de lui son perfide collègue, — son moi hypertrophique, tout cela est la réalité même. Mais la figure de Bismarck, comme elle est vivante, comme elle est criante de ressemblance !… Ironie froide et narquoise, habileté sans pareille à manier la vérité et à la faire, à l’occasion, passer pour un mensonge, politesse lourde et cruelle, imagination aiguë et pénétrante, style heurté, bourru et imagé, absence volontaire de tous scrupules, mépris de toute délicatesse et de toute générosité, bonhomie caustique et sournoise, dédain immense des naïfs et des parleurs, art prestigieux de faire des dupes et de prendre pour complices les victimes de demain, talent inouï pour discréditer ses propres desseins afin de les mieux appliquer, toutes ces ruses et ces perfidies, toutes ces dissimulations et ces stratagèmes, toutes ces roueries et ces artifices, Klaczko les a découverts, dénoncés, expliqués avec une perspicacité et une science vraiment admirables.

Ce fut son grand et dernier ouvrage politique. Comme le dit Tarnowski, « la vieille Europe s’en était allée en lambeaux. La nouvelle Europe était régie par deux puissances formidables, la Prusse et la Russie. Ce qui, depuis un siècle, avait été la base et l’espérance de la politique polonaise était brisé. Tout ce qui avait été aussi l’espoir d’un ordre de choses meilleur, plus noble et plus chrétien, en Europe, disparaissait dans la tempête. A quoi eût servi, dans un tel chaos et un tel conflit d’idées, un nouveau livre sur les questions politiques ? Avec la meilleure volonté du monde, nul ne pouvait changer la face des choses. Faire des reproches, montrer à l’Autriche et à la France leurs fautes ?… C’eût été une cruauté surtout envers la malheureuse France. On aurait dit que ses amis eux-mêmes lui jetaient la pierre ! Et vis-à-vis de l’Autriche, c’eût été un manque de tact de la part de l’ancien conseiller de la Couronne, et cela sans la moindre utilité… »

Klaczko avait d’ailleurs dit tout ce qu’il fallait « lire. Il avait prévu que l’abandon de la Pologne amènerait un jour celui du Danemark ; et l’abandon de l’Autriche, celui de la France. Il avait prophétisé la faiblesse et le désarroi de l’Europe, la répétition des actes de spoliation et des attentats qui l’avaient frappé sans l’émouvoir, la venue de nouvelles agitations et de nouvelles difficultés, et jusqu’aux tristesses et aux périls de l’heure présente.