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d’aucune utilité. L’Europe n’avait des yeux que pour le vainqueur. La Russie était la première à le féliciter. Elle ne prévoyait pas le Congrès de Berlin. L’Autriche s’inclinait pour recevoir une chaîne déguisée sous le nom d’alliance. L’Angleterre aurait bien voulu faire quelque chose en notre faveur, mais, devant le silence des autres, elle se taisait. La renaissance étonnante de notre pays, grâce au dévouement d’une Assemblée vraiment nationale et aux vaillans efforts d’un sage et énergique chef d’Etat qui mérita le titre glorieux de « Libérateur du territoire, » réveilla en moins de deux ans toutes les sympathies. A la stupéfaction de ses ennemis, la France, « ce noble blessé, » ce condamné à mort, ressuscitait.

Klaczko s’en réjouit plus que personne. Mais les revers de notre pays l’avaient profondément accablé. Sa santé, d’ailleurs assez faible, s’en était ressentie. Il avait été forcé, en 1871, d’aller en Italie passer quelques années. Au cours des loisirs que lui laissait sa convalescence, il écrivit le très beau livre qui parut d’abord en fragmens dans la Revue, et s’appela les Deux Chanceliers. Ce livre acheva sa réputation. Pour attirer à lui tous les suffrages, l’ancien député du Parlement de Vienne n’imitait pas certains diplomates ou hommes d’Etat qui avaient cru pouvoir divulguer les secrets les plus intimes de la politique. Ne croyant pas devoir s’affranchir des obligations imposées par le secret professionnel, il se contentait des documens ou des dépêches appartenant au domaine public, et tel était l’intérêt de son travail que tous ceux qu’il cita, parurent inédits.

Il avait pris pour héros de sa nouvelle œuvre les deux personnages alors les plus saillans de la politique contemporaine, les chanceliers de l’Empire russe et de l’Empire allemand. Je ne veux point analyser on détail cet ouvrage qui doit être présent encore à toutes les mémoires. Nul en effet ne peut avoir oublié le récit des missions du prince Gortchakof, les débuts et l’ambassade de M. de Bismarck à Saint-Pétersbourg, la relation saisissante des campagnes de la Vistule, de l’Elbe et de Bohême, l’éclipsé de l’Europe après Sadowa, le résumé si clair de la guerre de France et le triste bilan de l’association prusso-russe devenue si fatale à l’Occident. Qui ne se rappelle les croquis si fins tracés par une plume alerte et où revivaient Nesselrode, Napoléon III, le futur Guillaume Ier, Alexandre II, Thiers, Drouyn de Lhuys, John Russell, Govone, Benedetti, Manteuffel,