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la paix de Campo-Formio par laquelle l’Autriche perdait moins, à proportion, que la France ne perd aujourd’hui par la paix qu’elle va faire. À ce sujet, le chancelier Thugut écrivait à Colloredo : « Ce qui accroît mon désespoir, c’est la bassesse extrême de nos Viennois qui, au seul nom de paix, nagent dans la joie, sans qu’aucun ne s’inquiète si les conditions imposées sont bonnes ou mauvaises. L’honneur de la monarchie n’importe à personne. Personne ne se demande ce que deviendra la monarchie d’ici à quatre-vingts ans, pourvu qu’il puisse courir à la Redoute et y manger de petits poulets frits ! »

M. de Beust, qui avait entendu ce discours, répondait : « Se souvenir toujours n’a jamais porté de bons fruits et, précisément dans le pays dont parlait l’orateur, on a nourri pendant un demi-siècle des projets de revanche pour Waterloo ; vous voyez aujourd’hui à quoi ils ont abouti ! » A cela Klaczko pouvait répliquer : « Il ne suffit pas de penser à la revanche ; il faut savoir la préparer… Il ne faut ni désarmer, ni désorganiser. » Quant à la citation de Thugut, M. de Beust la trouvait très pénible, mais parfaitement juste ; et plus tard, étant ambassadeur à Paris, il put dire à ses amis français : « Je ne saurais oublier que, peu de semaines après Sadowa, la municipalité de Vienne est venue supplier l’Empereur de faire la paix. Vous pouvez donc mettre le siège de Paris à votre actif. » L’Europe et même la Prusse ont rendu justice à la résistance et au courage des Français qui, malgré des revers inouïs, des moyens insuffisans et un délaissement affreux, ont voulu et ont su prouver dans un patriotisme indéfectible qu’ils avaient gardé le culte du devoir et de l’honneur. Mais un autre orateur, Kuranda, répondant à Klaczko, exprima une vérité incontestable. Il fit observer que c’était le gouvernement de l’Empire qui avait créé le système de la localisation de la guerre, que la France expiait en cet instant. On aurait pu ajouter à ces observations, que Klaczko avait faites bien avant Kuranda, une autre non moins juste. L’intérêt de l’Europe devait passer par-dessus ses rancunes. Dans la Conférence de Londres, il eût suffi d’une motion pour amener une discussion profitable aussi bien au présent et à l’avenir de la France qu’à l’équilibre général ; mais, comme on l’a excellemment dit : « Nul alors ne se montra bon Européen. » L’Europe avait beaucoup appris des diverses révolutions opérées par la France ; mais l’infortune où ce pays venait de tomber semblait ne lui être