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c’est que, comme Albert Sorel l’a bien fait remarquer, ce n’était pas au nom de la France qu’il adjurait ses collègues d’ouvrir les yeux, c’était au nom de l’Autriche et au nom de l’Europe. « Il y a cinq ans, disait-il, cinq ans seulement, la Prusse était en armes aux portes de Vienne… Elle ne poursuivait rien moins que l’anéantissement de la monarchie des Habsbourg. Peu s’en fallut que l’Autriche ne présentât cet aspect de désolation que présente actuellement la malheureuse France. Il ne tint pas au comte de Bismarck que, selon l’expression d’une dépêche célèbre, l’Autriche ne fût « frappée au cœur. » Il ne tint pas à lui que l’aimable Vienne n’éprouvât la destinée que subit maintenant l’héroïque Paris. C’est à eux-mêmes, à leur modération et à leur bonne humeur que les Viennois durent d’échapper au bombardement. Ce fut le veto de la France qui empêcha l’Autriche d’être frappée au cœur. Et cinq ans après, lorsque la guerre éclata entre la France et la Prusse, on n’aperçut en Autriche aucun mouvement de vengeance : l’opinion publique se rangea sous les drapeaux de la Prusse ! Les dépouilles de ces milliers d’enfans de l’Autriche qui gisent enfouies aux champs de Kœniggraetz n’étaient pas encore consumées que des milliers de voix s’élevaient pour crier : « Dieu protège le roi Guillaume ! » Et lorsque cette couronne impériale qui était un des joyaux de la maison des Habsbourg passa sur la tête des Hohenzollern, il n’y eut pas un mot de désapprobation, il n’y eut que de l’in différence, tout au plus une sorte de raillerie démocratique pour une fable démodée ! »

Klaczko pensait que l’Autriche avait autre chose à faire que de s’incliner devant ces faits historiques, car il n’y avait pas d’illusions à avoir sur leurs conséquences. Elles se résumaient en cinq mots dits autrefois par le chancelier de l’Empire austro-hongrois : « Je ne vois plus d’Europe ! » Et l’orateur, emporté par un grand souffle, s’écriait : « Oui, il n’y a plus d’Europe ; il n’y a plus d’équilibre, il n’y a plus de protection pour les petits et pour les faibles ! De la Pentarchie qui, depuis le Congrès de Vienne, gouvernait l’Europe et maintenait l’équilibre, un facteur disparaît après l’autre… Il ne restera que deux grandes puissances avec lesquelles l’Autriche pourra compter : la Prusse et la Russie. Je veux bien croire aux bonnes intentions de la Prusse à notre égard. Elle peut avoir oublié le mal qu’elle nous a fait. Quand l’offensé a perdu le souvenir de l’offense, l’offenseur