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une goutte de sang slave. C’était un Saxon ; mais c’était aussi un politique éminent, étranger aux haines de clocher, et ayant la noble ambition de reconstituer l’Autriche. Fidèle à la parole donnée, il tenait à honneur d’être Autrichien. Il l’était plus que tel ou tel docteur cisleithan, car il voulait réunir les forces vives de l’Empire et donner satisfaction aux divers peuples des Habsbourg.

Ces éloges, très justes d’ailleurs, avaient touché M. de Beust qui cherchait, en effet, à écarter les prétentions excessives du parti germanique, lequel voulait prédominer dans l’Empire, eu détruisant le sentiment national de la Bohême, de la Galicie et du Tyrol. M. de Beust oublia le portrait, un peu moins louangeur que Klaczko avait tracé de lui en 1865 dans ses Études de Diplomatie contemporaine, et il appela, dans les premiers jours de l’année 1870, le savant écrivain au ministère des Affaires étrangères, en lui offrant le poste de conseiller aulique. Julian Klaczko partit pour Vienne le 10 février, en ayant l’intention de travailler de toutes ses forces à la réconciliation des Polonais avec l’Empire austro-hongrois et de rendre à la France, dont il avait apprécié la généreuse hospitalité, tous les services que sa nouvelle situation lui permettait de rendre.

Lord Clarendon, ou Napoléon III (on ne sait pas exactement lequel des deux) aurait dit de M. de Beust : « C’est un aigle en cage ! » Il est évident que le poste de ministre d’Etat, à Dresde, n’était qu’un poste inférieur pour un homme aussi instruit et aussi avisé que l’était le diplomate saxon. On savait qu’il avait eu l’audace de s’opposer aux vues ambitieuses de M. de Bismarck sur le Danemark et qu’il n’avait pas craint un instant d’envoyer le général Hake à Kiel pour se mesurer au besoin avec les généraux prussiens. On savait aussi que le vieux Nesselrode avait jadis conseillé à la Cour de Vienne d’utiliser ses services, et ce conseil n’avait pas été oublié, puisque le 10 juillet 1866, M. de Beust avait été envoyé à Paris pour solliciter l’intervention de l’Empereur en faveur de l’Autriche. Il n’avait obtenu que deux choses, ayant cependant chacune leur importance : l’obligation morale pour la France d’intervenir lors des négociations de paix avec la Prusse, et le maintien de l’intégrité de la Saxe. On n’ignore pas que cette mission déplut fort à Berlin et que M. de Beust fut officieusement, mais sérieusement, avisé que sa présence était