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vers hébreux, sous ce titre : Sylloge hebraïcorum carminum.

Dans l’étude sur la Poésie polonaise il apprenait aux lecteurs, avec le nom du poète jusqu’alors resté inconnu, une dramatique et bien touchante histoire. Les événemens qui, depuis 1861, se déroulaient en Pologne, avaient attiré l’attention sur un écrivain mort en 1859 à l’âge de quarante-sept ans et dont la réputation n’était guère sortie de son pays. Et cependant, l’action de ce poète qui se cachait à tous, avait fini par être immense sur le mouvement des esprits en Pologne. « Spectacle étonnant que cette ratification d’une pensée idéale et mystique par la réalité vivante et palpable ; que le pouvoir moral et posthume exercé sur un peuple par un génie méditatif et solitaire ! » Le poète qui, jusqu’en 1861, était demeuré anonyme, était un homme de grande fortune et de famille ancienne. Son père, le comte Krasinski, qui s’était illustré sur les champs de bataille du premier Empire, avait eu dans la vie civile une triste défaillance qui l’entraîna jusqu’au parjure. Le fils, un chrétien résolu, ne voulut ni juger ni renier son père. Poète d’instinct et grand poète, il chercha à expier la faute paternelle en immolant chez lui toute ambition. Exilé volontaire, il consacra ses vers à son pays, mais « il passa toute sa vie à élever un temple et à faire oublier son nom. » Comme le dit Klaczko, il est peu de sacrifices plus grands que cette grande souffrance si dignement supportée. Le poète anonyme était fidèle au sentiment national, mais dans ses œuvres qui irritaient plus qu’elles ne passionnaient alors la Pologne, il jetait un défi aux rêveries humanitaires et socialistes du jour : il combattait une propagande démocratique qu’il croyait funeste à sa patrie. Dans ses œuvres admirables, la Comédie Infernale, l’Iridion, le Rêve de Césara, la Tentation, l’Aurore, les Psaumes, Resurrecturis, parues de 1835 à 1845, il prêchait l’impuissance de la haine et glorifiait l’idée du martyre. Il voulait bien la résistance, mais seulement la résistance morale. Pour lui, la plus haute sagesse, c’était la vertu. De toutes parts on raillait la couardise du poète anonyme ; on l’accusait de folie. Il laissait dire et continuait à prêcher sa doctrine en vers superbes qui étaient lus partout et partout discutés. Il mourut le 24 février 1859, « et le silence seul vint s’asseoir sur sa tombe… Mais un jour, le peuple de Varsovie, dit Klaczko, se leva sans armes, ne portant dans ses mains que son drapeau et sa croix. Il ne donna pas la mort, mais il la reçut, et quand le dominateur, épouvanté