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d’avantages directs. C’est tellement évident que ce n’est pas la peine d’en parler. Aussi je ne dirai ici qu’un mot sur les avantages indirects qui me semblent être encore plus considérables.

Si l’idée que leur langue a le plus de chances de devenir l’idiome auxiliaire européen pénètre dans l’entendement des Français et s’ils se mettent à travailler avec ardeur à accélérer ce mouvement, il arrivera un fait de la plus grande importance. Les Français se rendront compte qu’ils ont une grande mission intellectuelle à accomplir dans le monde, et cette mission leur apparaîtra comme un devoir patriotique auquel il sera indigne de faillir. Le jour où on en sera là, un changement considérable s’opérera dans l’esprit des Français. Immédiatement, ils seront poussés à regarder en avant plutôt qu’en arrière. Convaincus d’avoir une œuvre magnifique à réaliser, ils se sentiront soulevés par une force nouvelle. Leur pessimisme s’évanouira comme les brouillards devant l’éclat du soleil. Ils regarderont les réalités de la vie d’une façon plus nette. Ils verront qu’en dehors des facteurs politiques qui mènent les peuples aux jeux sanglans de la guerre, aux acquisitions et aux pertes de territoires, il y a encore les facteurs intellectuels qui, agissant à chaque moment de la durée, n’ont pas une moindre importance que les batailles gagnées et perdues. Dans un siècle ou deux, notre groupe de civilisation sera probablement composé d’un milliard d’individus. Que, dans ce groupe, un homme sur dix sache seulement le français, cette langue dominera le globe entier.

L’unité de langage a toujours poussé au rapprochement politique. En travaillant à faire de leur langue l’idiome du groupe européen, les Français travailleront en réalité, d’une façon indirecte, à l’entente des nations cultivées. On voit donc que les Français, en s’efforçant de propager leur langue, loin de faire une œuvre égoïste, travailleront, au contraire, à la prospérité générale de notre espèce, et aux progrès de la civilisation.


J. NOVICOW.