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mouvement. Il faut laisser les Danois, les Polonais, les Allemands, être espérantistes, novolatinistes, etc. Les Français ne devraient être que francistes, s’il est permis de forger ce barbarisme. Assurément les Français, par délicatesse et par libéralisme, peuvent ne pas combattre les langues artificielles inventées dans les autres pays. Mais il leur est absolument inutile de s’en emparer avec enthousiasme et de faire des efforts pour les propager. Ils devraient dire : « Nous pensons que notre langue a le plus de chance de devenir l’idiome auxiliaire. Nous n’imposons pas cette opinion, mais nous refusons catégoriquement de travailler à la propagande de l’opinion contraire, parce que nous la considérons comme fausse et comme contraire à la réalité des faits. »

Beaucoup de Français trouvent ce point de vue égoïste, antihumanitaire et, par conséquent, indigne de leur nation. Ils ont complètement tort. L’altruisme et l’égoïsme n’ont rien à voir dans la question, dès qu’il s’agit de phénomènes naturels.

S’il est conforme à ces phénomènes que leur langue devienne l’idiome auxiliaire, les Français auront beau se faire espérantistes, mundolinguistes ou nuovoromanistes, ils n’empocheront pas le mouvement de suivre la ligne de la moindre résistance. Seulement, ils pourront un peu arrêter les progrès de leur langue. Par cela ils se nuiront à eux-mêmes, mais c’est une erreur de croire qu’ils feront du bien à l’humanité. En effet, plus vite l’humanité sera munie de cet instrument si nécessaire qui est la langue internationale, mieux cela vaudra. On ne la sert donc pas en retardant le moment où ce fait se produira. Comme tous les efforts en vue d’une langue artificielle sont en pure perte, il faut les économiser pour les porter uniquement sur le terrain où ils seront bienfaisans, c’est-à-dire sur la propagande en faveur du français. Les Toscans ne font aucun effort, de nos jours, pour empêcher leur dialecte d’être la langue auxiliaire inter-italienne. Au contraire, ils font des efforts pour qu’il soit cela. En agissant ainsi, ils ne se jugent pas du tout égoïstes et ne croient pas travailler contre leur grande patrie. Que les Français fassent comme eux. S’ils sont privilégiés entre les autres nations, qu’ils s’efforcent, par altruisme, de rendre de plus grands services à l’humanité en perfectionnant leur langue, et non en l’empêchant de se répandre.

Il est inutile de montrer combien l’adoption de leur langue comme idiome auxiliaire du groupe européen leur procurera