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l’Amérique du Sud ait un jour 200 millions d’habitans au lieu des 40 qu’elle nourrit actuellement, les cliens du français monteront à 700 millions, et la nécessité pour les Anglais d’étudier cette langue augmentera en proportion.


IV. — LES CHANCES DU FRANÇAIS

L’exemple du toscan montre comment certaines langues deviennent internationales en vertu d’une évolution naturelle. Cette analyse m’a conduit à affirmer que, de tous les grands idiomes occidentaux, le français, en Europe, a le plus de chance de jouer ce rôle. Passons maintenant à l’examen des faits pour voir s’ils confirment les considérations a priori.

Il me semble que cela ne puisse ; pas être mis en doute, pour peu qu’on se donne la peine d’observer ce qui se passe dans le monde.

Il ne faut pas oublier que le français est, dans une certaine mesure, l’idiome international de l’Occident depuis le XIIe siècle. Et notez qu’à cette époque, le français avait à soutenir une bien rude concurrence : celle du latin, qui était la langue de l’Église, de la science, de la justice et en partie de l’administration. Le latin servait, sur une très grande étendue, de langue auxiliaire. Néanmoins, le français soutint la lutte contre le latin non sans quelque succès, grâce à ses brillans écrivains qui exercèrent, de bonne heure, un puissant attrait sur les nations voisines[1].

En Angleterre, dès le XIIe siècle, le français domine : « Les rois n’entendaient, tout au moins ne parlaient que cette langue, au point que le propre vainqueur de Crécy, Edouard III, ne parvint pas, dans une circonstance solennelle, à reproduire correctement une phrase anglaise[2]. » En justice, l’usage du français dura jusqu’au XVIIIe siècle. « Dans les réponses (answers) du Parlement, c’est en 1404 seulement qu’on trouve l’anglais employé pour la première fois. Les procès-verbaux des séances ne se tiennent en anglais qu’à partir d’Henri VI. Les lois, jusque vers 1490, sont exclusivement en français ou en latin[3]. »

  1. « A vrai dire, — ainsi s’exprime M. F. Brunot dans son Histoire de la langue française (Paris, A. Colin, 1905, t. Ier), — la richesse et l’extraordinaire variété de notre littérature avaient, à défaut d’autre chose, vulgarisé notre langue en Europe. »
  2. Brunot, op. cit., p. 367.
  3. Id., ibid., p. 374.