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Du détroit de Magellan à la Californie, un milliard d’hommes vivraient à leur aise. Le peuplement de l’Amérique du Sud sera l’œuvre du XXe siècle, comme le peuplement de l’Amérique du Nord a été celle du XXe. Toutes les masses humaines qui iront au Chili, au Brésil et au Mexique seront des cliens du français.

Assurément, étant donné l’immense importance du commerce de l’Angleterre, un grand nombre d’Européens seront amenés à apprendre sa langue : cela n’empêchera pas le français de devenir la langue auxiliaire de l’Europe. Beaucoup de Piémontais peuvent apprendre le dialecte vénitien : cela n’empêche pas le toscan de rester l’idiome inter-italique.

La langue auxiliaire doit d’ailleurs s’appliquer à tous les usages : conversation privée, discussions publiques, enseignement oral, échange épistolaire, littérature scientifique, poésie, œuvres d’imagination, et non pas à une seule spécialité comme la correspondance commerciale. Une seule spécialité, quelle qu’elle soit, est trop étroite pour donner l’universalité à une langue. Pour acquérir cette universalité, une langue doit avant tout être employée par l’aristocratie. Elle doit être le parler noble par excellence, celui qu’il est bon de savoir manier avec élégance et dextérité pour être considéré comme un homme du grand monde. La capillarité sociale, la tendance de tout individu à se hausser des classes inférieures aux classes supérieures est un des principaux facteurs de la langue internationale. Quelque immense que soit donc le développement du commerce britannique, l’anglais ne deviendra pas la langue auxiliaire de noire groupe de civilisation, même s’il était employé par les négocians du monde entier[1].

Il faut faire remarquer que l’expansion des Anglo-Saxons n’empêchera pas l’extension du français, au contraire. J’ai fait valoir cet argument un peu plus haut au point de vue actuel. J’ajouterai un mot au point de vue de l’avenir. Si le français est adopté par les Latins, les Slaves et les Germains comme langue auxiliaire, plus ces races augmenteront en nombre, plus les Anglais seront obligés d’apprendre le français. Grâce à ces trois races, il a actuellement 500 millions de cliens. Mais que

  1. Les besognes économiques sont des moyens : la jouissance seule est un but. Si tant de familles bourgeoises, en France, tiennent à faire passer à leur fils le baccalauréat ès lettres, c’est parce que la connaissance des langues anciennes est la marque d’une éducation aristocratique.