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sujet de la langue auxiliaire internationale est dissipée par l’observation de ce qui se passe en Italie.

On dit que le français ne pourra jamais devenir la langue du groupe européen, et que ce rôle sera probablement dévolu à l’anglais, parce que l’anglais est parlé par un plus grand nombre d’hommes : tandis que les francophones sont seulement 46 millions, les anglophones sont 140 millions. Cela peut ne rien signifier du tout. La Toscane a actuellement 2 600 000 habitans, l’Italie 33 millions : la population de la Toscane est donc la quatorzième partie de la population totale de la péninsule apennine. Cependant, le dialecte toscan est devenu la langue auxiliaire de toute la contrée. Et remarquez que le progrès des populations se servant des parlers régionaux n’arrêtera en rien l’avance du toscan, au contraire. L’Apulie a aujourd’hui 2 millions d’habitans dont 200 000, par hypothèse, se servent du toscan pour leurs besoins intellectuels. Si la population de l’Apulie s’élève dans quelques années à 4 millions, et que la proportion des hommes cultivés y reste la même, elle contiendra alors 400 000 hommes pratiquant le toscan. Ce dialecte aura donc progressé sans que la population de la Toscane ait augmenté, et quand bien même la population de la Toscane serait devenue une plus petite fraction de l’ensemble de la population italienne. En 1800, le français était parlé par un sixième des Européens, maintenant il ne l’est que par le douzième. On en conclut que le français devient de moins en moins la langue auxiliaire de l’Europe. L’exemple de l’Apulie et du toscan suffit à montrer qu’il n’en est rien. Je dirai plus. Imaginez que les Vénitiens fondent dans la République Argentine une colonie de 20 millions d’hommes. Les gens éclairés de cette colonie parleront le toscan, qui se répandra de cette façon par l’accroissement démographique des Vénitiens. Le français est précisément dans ce cas. Tous les progrès des Anglo-Saxons, des Slaves et des Latins peuvent tourner à son profit. Il y a maintenant aux Etats-Unis 85 millions d’hommes dont 900 000, par hypothèse, savent le français. Qu’un jour il y ait aux Etats-Unis 200 millions d’habitans, il y aura 2 millions d’individus qui sauront l’idiome de Voltaire. Et il faut considérer non seulement l’accroissement général de la population, mais encore l’accroissement particulier des gens instruits. Imaginons qu’à l’heure actuelle un Américain sur cent soit amené à apprendre le français : que