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irréalisable pour les langues artificielles, elles resteront éternellement des espèces de notations algébriques sans vie, sans couleur, sans attrait.

Ajoutons une dernière considération. Les lois naturelles travaillent constamment à faire d’un idiome plus favorisé que d’autres la langue auxiliaire de certaines régions. Tel fut le cas pour le toscan par rapport à l’Italie, pour le saxon par rapport à l’Allemagne, pour le dialecte attique par rapport à la partie orientale de l’Empire romain : les lois naturelles travaillent maintenant à faire du français la langue auxiliaire du groupe européen. En effet, nous voyons des Mexicains, des Brésiliens, des Chiliens, des Bulgares, des Roumains, des Turcs, des Polonais, des Russes, des Hollandais, des Suédois, apprendre le français de plein gré en masses toujours croissantes. On ne peut pas empêcher ces individus de faire une chose qui leur paraît utile et qui leur procure du plaisir. On aura beau les sermonner, ils n’abandonneront pas le français pour l’espéranto ou l’universal aussi longtemps que le français leur donnera des jouissances par ses chefs-d’œuvre littéraires et leur rendra des services par ses œuvres scientifiques. Jamais l’espéranto n’aura cette fortune. Tous les jours, par suite de la capillarité sociale, de la tendance à monter des rangs inférieurs aux rangs supérieurs de la société, le nombre des cliens du français augmente dans le monde. Il n’en est pas ainsi des partisans d’une langue artificielle quelconque. Le volapuk a eu une très grande vogue, il y a une vingtaine d’années ; aujourd’hui, il n’a plus un seul adepte, et on se demande même comment un langage aussi bizarre et aussi ridicule a pu avoir un seul partisan. Dans un quart de siècle, ou même peut-être beaucoup plus tôt, l’espéranto ira rejoindre le volapuk au pays des vieilles lunes. Il se vante aujourd’hui d’avoir deux cent mille adhérens. Deux cent mille adhérens sur 560 millions d’Européens est une vraie misère ! Mais encore les aura-t-il longtemps ? Il est permis d’en douter. Les imperfections manifestes de l’espéranto sautent aux yeux. Peu à peu, cette fantaisie incohérente sera abandonnée comme a été abandonné le volapuk. Le même sort attend toute autre langue artificielle plus parfaite, comme l’universal, par exemple : sa vogue, à lui aussi, ne pourra être que momentanée.

Ces considérations suffiront à convaincre le lecteur, je l’espère, que la solution du problème de la langue auxiliaire