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officiellement[1] de l’Empire britannique, il sera réduit à 11 500 000 kilomètres carrés et deviendra égal à l’Empire français : aura-t-on le droit de proclamer alors la déchéance de la race anglo-saxonne ? Et si l’Angleterre vient un jour à perdre toutes ses colonies, — ce qui ne manquera pas de se produire tôt ou tard, car les colonies sont une phase transitoire de l’histoire de l’humanité, — est-ce qu’elle tombera nécessairement dans une décadence complète ? Est-ce qu’elle n’aura plus ni un grand savant, ni un grand artiste ? Est-ce qu’il ne s’y produira plus aucune manifestation de la vie civilisée ? Qui oserait soutenir un pareil paradoxe ? Jusqu’en 1883, l’Allemagne n’avait pas de colonies. Cela ne l’a pas empêchée d’être une nation des plus actives dans toutes les branches de la production humaine. D’autre part, les héritiers du terrible Tchinguiz-Khan ont possédé à un certain moment jusqu’à 30 millions de kilomètres carrés. C’est le plus grand Empire que connaisse l’histoire. Il n’en ressort cependant pas que le peuple tartare ait été supérieur à tous les autres. La valeur d’une nation n’est pas uniquement en fonction de l’étendue de son territoire. Les Anglo-Saxons ne sont pas nécessairement supérieurs aux Français par cela seul qu’ils ont un Empire plus vaste.

La seconde prétendue preuve de la supériorité des Anglo-Saxons est la rapide extension de la langue anglaise au XIXe siècle. En 1807 ; il y avait à peine 21 millions d’anglophones sur le globe ; en 1907, il y en a 140 millions. Pendant ce temps, les francophones ont passé seulement de 25 millions à 40 millions. On voit là une preuve palpable, et pour ainsi dire mathématique, de l’infériorité de la race française sur la race anglo-saxonne.

Examinons cependant d’où provient cet accroissement. On n’ignore pas qu’il tire sa source surtout des États-Unis. Sans la grande République américaine, le nombre des anglophones serait maintenant de 54 millions sur le globe : cela ne ferait pas une bien grande différence avec les francophones. Mais les États-Unis jettent dans la balance leur bloc de 86 millions d’hommes et assurent à la langue anglaise une supériorité écrasante.

Or, le peuplement des États-Unis est loin d’être exclusivement une œuvre anglo-saxonne. Vingt millions d’émigrans de toutes les nations sont allés aux États-Unis au cours du XIXe siècle :

  1. Je dis officiellement, parce qu’en fait, l’Australie et le Canada sont déjà des États indépendans.