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et inoffensif idiot, est transformé en saint et en martyr. Clarence, ce lâche et avare coquin qui trahit successivement les deux partis et conspira avec les ennemis de son nom, devient une intéressante victime. Edouard IV, l’incarnation de la luxure et de l’avidité, le bel homme à faciles bonnes fortunes qui allait quêter à domicile chez les riches veuves pour les besoins de sa caisse royale, toujours pleine et toujours vide, le trafiquant sans vergogne qui vendit à Louis XI la neutralité de l’Angleterre, nous le voyons, à son lit de mort, purifié et transfiguré par le repentir et prêchant l’union à ceux qu’il laisse derrière lui. Et les femmes ! Elles sont plus favorisées encore. Marguerite d’Anjou, la cruelle mégère, est une prophétesse inspirée ; la duchesse d’York, qui avait fomenté les guerres civiles et couvé la grandeur de Richard, n’est plus qu’une pauvre femme calomniée. La reine Elisabeth, une intrigante, et sa fille, ambitieuse effrontée qui, du vivant de la reine Anne, avait laissé voir le dessein d’épouser son oncle et, après la mort de celui-ci, passa aussitôt dans les bras de Henry de Richmond, nous sont offertes comme des héroïnes dignes de notre sympathie et de notre pitié. Au milieu de ces hommes et de ces femmes, Richard n’apparaît plus comme un être violent et impur parmi des créatures de même origine et de même trempe, mais comme la personnification, le sombre génie du crime, entouré de ses victimes.


III

Quand les Tudors ne furent plus là, on commença à les discuter. La première voix qui s’éleva pour demander la révision du procès de Richard III devant l’histoire fut celle de George Bucks. Mais c’est Horace Walpole qui, dans ses Historical Doubts, ouvrit véritablement la discussion sur ce point. Trop paresseux pour se livrer aux recherches nécessaires à l’établissement d’une affirmation quelconque, il se borna à relever les invraisemblances, les contradictions, les inexactitudes dont fourmillent les récits des témoins à charge et qui lui rendaient, à bon droit, suspectes leurs autres assertions.

Un siècle s’était encore écoulé lorsqu’un jeune érudit, prenant pour point de départ les indications d’Horace Walpole, se donna pour tâche d’étudier le caractère et les actes de Richard. De là un livre fort estimable, qui fut le début de l’auteur, en 1878,