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prévoir comment évoluera une assemblée qui ne se connaît pas encore elle-même. Aujourd’hui, les octobristes et les cadets sont animés les uns contre les autres des sentimens les plus hostiles : leur rapprochement est sans doute désirable, puisqu’il rendrait possible la constitution d’un centre dans l’assemblée, mais il faudrait de très grands changemens pour l’amener.

Quelle que soit sa composition, nous souhaitons à la nouvelle Douma une vie plus longue et surtout plus utile que ne l’a été celle de ses devancières ; mais nous ne savons pas si ce vœu est partagé par sa majorité de droite. Il y a là des hommes qui seraient désolés de voir réussir une assemblée, même si ce succès était leur œuvre. Ce qu’ils veulent, c’est le l’établissement pur et simple de l’autocratie impériale. Avec eux, le gouvernement sera difficile. Notre seul espoir est dans le caractère aujourd’hui connu de M. Stolypine, qui s’est donné pour tâche d’avoir une assemblée viable : nous entendons par là une assemblée avec laquelle il puisse vivre, c’est-à-dire à laquelle il fera accepter les plus importans de ses projets. Le premier de tous est la réforme agraire. Le malheur est que le gouvernement rêve d’une assemblée qui serait une espèce de Conseil d’État, bien laborieux, bien sage, qui se contenterait de perfectionner ses projets dans le sens où il les aurait lui-même conçus, préparés et présentés. L’expérience de tous les pays prouve que les assemblées élues ont d’autres prétentions. Elles se sentent une force qui ne vient pas du gouvernement et qu’elles cherchent à lui imposer. Et cependant, pour peu que la nouvelle Douma comprenne la leçon des événemens, elle se rendra compte que sa force, quelle qu’en soit l’origine, peut être brisée par un acte du ministère, que la loi électorale peut être remaniée de manière à produire un effet déterminé, que sa situation enfin n’est pas moins instable et fragile que celle des Doumas antérieures. Les assemblées politiques, en Russie, feront bien, longtemps encore, de limiter leurs exigences. Leur première préoccupation doit être de durer, d’habituer le pays à elles, de rendre des services modestes peut-être, mais continus. Au bout de dix ans de ce régime, un gouvernement ne pourrait plus les dissoudre aussi aisément que l’ont fait MM. Goremykine et Stolypine : mais, pour le moment, le pays ne sait plus ce qu’il peut attendre d’une assemblée : après en avoir attendu trop, son abstention électorale montre qu’il n’en attend rien. Si l’assemblée lui prouve qu’il a tort, et qu’elle est capable de quelque chose, en dépit de toutes les triturations qui ont précédé et préparé sa naissance, peut-être y aura-t-il quelque chose de changé en Russie.