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des revenus supérieurs à 20 000 francs, jointe au relèvement très notable de leurs bases d’impositions, est de nature à apporter un certain aléa dans le rendement qu’on attend de leur contribution à l’impôt. » D’un bout à l’autre de sa lettre, M. Caillaux procède de même : il commence par une affirmation énergique, puis il y met une atténuation et aboutit finalement à un doute. Sa réforme est peut-être bonne, mais certainement elle n’est pas mûre : il n’est pas encore parvenu à la mettre au point. On pourrait s’y tromper parce que son assurance naturelle donne à son style des apparences de précision ; mais si on cherche sa pensée vraie, on la trouve singulièrement hésitante et on en reste déconcerté.

C’est surtout dans le passage de la lettre relatif aux revenus du commerce et de l’industrie que cette difficulté de conclure apparaît le mieux. M. Caillaux s’est efforcé jusqu’ici, — et il prolonge timidement cet effort, — d’échapper à la nécessité de la déclaration. Il l’accepte toutefois pour l’établissement de l’impôt foncier sur la propriété non bâtie, et il annonce l’intention d’obliger les propriétaires à déclarer la contenance de leurs propriétés. Tous les chefs de service lui ont conseillé d’user de ce procédé qui, dans l’espèce, ne saurait, disent-ils, avoir aucun inconvénient, puisque les contenances ont déjà un caractère public. « Selon l’heureuse expression de l’un d’entre eux, écrit M. Caillaux, de telles déclarations ne viennent à l’encontre d’aucun intérêt sérieux et respectable. » L’expression est heureuse, en effet, parce qu’elle renferme l’aveu que d’autres déclarations porteraient atteinte à des intérêts de ce genre, et c’est ce qui arriverait assurément si les industriels et les commerçans étaient mis dans l’obligation d’en faire. Or ils n’y échapperont pas. M. Caillaux n’ose pas encore se l’avouer à lui-même ; mais il faut voir avec quel embarras il tourne autour de la question ! « Beaucoup de directeurs, dit-il, se prononcent nettement en faveur du système de la déclaration obligatoire et demandent que les commerçans soient appelés à faire connaître le chiffre de leurs bénéfices réels ou moyens. » Ils ont raison, ces directeurs, ou plutôt ils sont logiques, et M. Caillaux sera bien forcé de l’être à son tour. Son impôt sur le revenu ne peut pas fonctionner sans la déclaration obligatoire, et c’est précisément ce qui le condamne. Pourtant, M. Caillaux hésite encore. Il sait fort bien que la déclaration obligatoire soulèvera contre lui, contre le gouvernement, contre la République elle-même, une impopularité dangereuse. Mais que faire ? Comment reculer, après s’être avancé si loin, et le moyen d’échapper à M. Jaurès qui est là, avec ses injonctions