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d’une jeune fille de grande famille, Anne-Marie d’Andeline. Et comme les d’Andeline sont une grande famille ruinée, les parens de Anne-Marie l’ont forcée à épouser le « Roi des cuivres égyptiens. » Ce plébéien à la carrure épaisse, ce financier aux procédés de pirate est odieux à Anne-Marie, qui, tout de suite, lui a fermé la porte de la chambre conjugale. Jacques Brachard souffre, mais il ne désespère pas. C’est un conquérant. Il fera la conquête d’Anne-Marie…

En attendant qu’elle aime son rustre d’époux, Anne-Marie le trompe, avec un homme de son monde, un abominable viveur et escroc, Jérôme Le Govain. Ce Le Govain, décavé, n’a pu se refaire que grâce aux conseils de Brachard, et en jouant à la hausse sur les cuivres égyptiens. — Ce détail est essentiel ! — L’adultère va son train. Le mari doit partir ce soir pour un voyage en Angleterre : à l’heure même où il s’embarquera, l’amant enlèvera Anne-Marie dans son auto, pour ne la ramener chez elle qu’au petit jour… Seulement, le mari, prévenu, ne part pas… Je ne vous donne pas le moyen pour très neuf.

Lorsque rentre Anne-Marie, à trois heures du matin, Brachard apprend d’elle sa lamentable aventure. Le Govain a trouvé « chic » de la conduire à un souper en compagnie ignoble. Première explication : premiers rugissemens du fauve. Mais Brachard réfléchit : il feint d’accepter la situation. Il annonce son départ pour l’Angleterre. C’est un faux départ. C’est le second… Et voilà deux actes qui ne servent que d’exposition. Car tout le sujet réside dans le stratagème imaginé par Brachard pour tirer de l’amant de sa femme une vengeance inouïe.

Un financier ne saurait se venger comme un autre homme. Il a ses armes de combat à lui, qui sont les coups de Bourse. Tandis que tout le monde le croit hors de France, Brachard s’est installé à l’hôtel Ritz. Il a donné à son fondé de pouvoir l’ordre de jeter des cuivres égyptiens sur le marché, par brassées. Il faut amener une baisse immédiate et colossale, une panique, une débâcle. Ce sera pour Brachard la ruine ; oui, mais en se ruinant Brachard ruine son ennemi… Pour assurer sa vengeance, et pour la savourer, il a fait venir Jérôme Le Govain auprès de lui ; il l’a retenu à déjeuner ; il l’a gardé jusqu’à l’instant où le désastre financier a été un fait accompli, afin de pouvoir le lui annoncer lui-même, et goûter un plaisir féroce à lire sur le visage du misérable la détresse du joueur qui se sent perdu… C’est là, au moment où Jérôme veut s’évader, courir à la Bourse, que les deux hommes se sont colletés.

Brachard est ruiné. Tout le monde lui tourne le dos. Les d’Andeline