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ne s’émancipe et ne fait le galant, sans provoquer dans la salle un rire inextinguible. MM. de Flers et de Caillavet n’ont pas craint même d’accentuer la note. Je ne jurerais pas que le rôle du bon curé soit toujours tenu dans une note très délicate, et que, par exemple, la scène du vaporisateur soit d’un goût irréprochable.

La gaieté doit être tempérée par le sentiment. On ne peut pas rire tout le temps : à la longue, cela fatigue et énerve ; quelques larmes, pointant à peine au bord des cils, amènent une détente. Voyez cette petite Jacqueline si vive, si en dehors : elle a vraiment du chagrin. Elle en a d’abord d’être trompée par son mari. Car les jeunes filles d’aujourd’hui ont beau être très renseignées, très revenues de nos illusions, très persuadées par avance de l’infidélité professionnelle de tous les maris, cela n’empêche pas que, devenues femmes, elles souffrent exactement comme ont toujours fait toutes les femmes, depuis qu’il y a des maris et qui les trompent. Elle en a ensuite parce qu’elle se rend bien compte qu’elle fait de la peine à ce pauvre Vernet. Celui-ci le lui reproche très justement : « Pourquoi m’avoir choisi, moi qui vous aimais ? » Il est à plaindre, cet amoureux, quoique chartiste : nous ne lui refuserons pas notre pitié. Et il y a encore un rôle de maîtresse de piano, sacrifiée et résignée, qui est tout mouillé de larmes… Ces parties d’émotion sont indispensables. La théorie de la séparation des genres est une théorie de lettrés : le public préfère le mélange.

Le danger, pour la comédie de genre, est qu’elle risque de se confondre avec la pièce pour familles. C’est un écueil qu’il faut éviter à tout prix. Nous n’aimons guère pour notre consommation personnelle les spectacles où nous pouvons conduire nos fils. Nous sommes d’ailleurs dans un temps de littérature hardie : ce qui est insipide et fade nous cause un insurmontable dégoût. S’il n’y avait dans l’Amour veille que Jacqueline, qui est une petite perruche, mais enfin une perruche provisoirement honnête, on pourrait craindre que la pièce n’eût un air d’autrefois. Mais il y a André. Et celui-ci est bien d’aujourd’hui. Tranquillement installé dans une double liaison, — danseuse et femme du monde, — il ne fait aucune attention à cette charmante jeune fille qu’est Jacqueline. Il faudra que celle-ci lui saute au cou : on n’ignore pas que ce sont maintenant les jeunes filles qui font les avances. Jacqueline lui rendra encore le service de rompre pour lui sa liaison avec Lucienne de Morfontaine, et cela lui épargnera des formalités toujours désagréables. Tout de suite après le mariage, en pleine lune de miel, il reviendra à la maîtresse, hier si cavalièrement