Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/452

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

romans. Il s’était adonné surtout au genre historique, et ses premiers livres, sans être d’une originalité bien marquée, se distinguaient par un très louable souci de probité, aussi bien au point de vue de la documentation érudite qu’à celui de la composition et du « métier » littéraire. Mais ni ses romans historiques, ni d’autres essais du jeune médecin n’étaient parvenus à le tirer de l’obscurité, lorsque, tout à coup, un médiocre petit roman imité de notre Gaboriau attira sur lui l’attention publique. Le héros du roman était un détective amateur, un Lecoq anglais, du nom de Sherlock Holmes. Aussitôt tous les éditeurs, tous les directeurs de revues, demandèrent à M. Conan Doyle des histoires de criminels devinés et pourchassés par l’ingénieux Sherlock Holmes ; et M. Conan Doyle les satisfit de son mieux, tout en aspirant au jour où il pourrait se remettre à des travaux plus dignes de lui. Une ou deux fois, il alla même jusqu’à tuer son héros, afin de se forcer ainsi à n’en plus parler. Et toujours le public anglais, de son côté, lui signifiait qu’il ne voulait point l’entendre parler d’autre chose : de sorte que M. Doyle se voyait contraint de ressusciter Sherlock Holmes, et d’ajourner encore ses beaux rêves d’artiste. Une dernière fois, l’année passée, il a tenté d’échapper à l’étreinte du terrible policier amateur ; et le grand roman historique qu’il a publié dénotait vraiment un effort littéraire des plus méritoires : mais le roman a ennuyé, l’effort, infiniment respectable, de l’auteur, est resté inutile, et voici M. Conan Doyle condamné, sans doute, à préparer tristement une nouvelle résurrection de son Sherlock Holmes !


J’aurais encore à rappeler bien d’autres noms, depuis celui de la vénérable et infatigable miss Rhoda Broughton jusqu’à celui de Mme Humphry Ward, qui naguère, dans sa Fille de lady Rose, a renouvelé sa manière avec le talent et l’agrément que l’on sait. Mais ni ces deux écrivains, ni aucun des autres aînés du roman anglais n’a rien produit, ces années passées, qui eût de quoi modifier notre opinion sur eux ; et il faut maintenant que j’essaie de définir, à l’aide de quelques exemples précis, les tendances qui sont en train de se manifester dans la pensée, les sentimens, et les procédés littéraires, des mieux doués entre les romanciers de la génération d’aujourd’hui. Ce sera l’objet d’un article prochain.


T. DE WYZEWA.