Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/451

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement à la Chambre des communes, mais jusque dans sa maison et auprès de sa femme, par un inconnu qui lui ressemblait, littéralement, trait pour trait. Puis l’inconnu, un jour, révélait à la jeune femme qu’il n’était pas son mari. Mme Chilcote s’accommodait à merveille de la substitution, et, à la mort du véritable mari, continuait sa vie conjugale avec le remplaçant, sans que sa conscience ni celle du faux Chilcote éprouvât le moindre scrupule d’un tel procédé. Cette histoire extravagante avait ravi toute l’Angleterre : mais il a suffi à Mme Thurston de vouloir la recommencer pour ouvrir les yeux de ses compatriotes sur l’extrême pauvreté de sa fantaisie, et sur les lacunes de son expérience professionnelle. Son dernier roman, Les Mystiques[1], a passé presque inaperçu, malgré les char-manies images dont il était illustré. Elle y racontait l’aventure d’un jeune homme qui, à Londres, dans un groupe d’illuminés, réussissait à s’imposer comme le Saint-Esprit, l’incarnation vivante du Paraclet attendu jadis par Joachim de Flore. Une riche et belle jeune femme s’éprenait de lui, puis, ayant découvert sa tromperie, et la voyant découverte par la communauté, était trop heureuse de pouvoir lui livrer sa fortune en même temps que son cœur. Tout cela débité avec cet extraordinaire dédain de la vraisemblance qui, naguère, n’avait nullement choqué les lecteurs de John Chilcote ; mais je crains bien que le prochain roman de Mme Thurston n’ait plus l’occasion de choquer aucun lecteur, si l’auteur ne se décide pas à y introduire des figures à la fois plus vraies et moins répugnantes que celles de l’imposteur des Mystiques et de sa maîtresse.

M. Hall Caine, dont l’Enfant prodigue[2]avait rivalisé en popularité avec John Chilcote, n’a fait paraître, depuis lors, qu’un roman anti-alcoolique, qu’il a extrait d’un mélodrame joué précédemment. Mais ni le roman ni le drame ne relèvent, en vérité, de la littérature ; et rien ne subsiste plus, chez M. Hall Caine, du jeune poète formé jadis dans l’intimité des maîtres de l’école préraphaélite. Combien plus intéressant et plus touchant est le cas de M. Conan Doyle ! Cet homme d’une gloire aujourd’hui universelle était, il y a une quinzaine d’années, un savant médecin, doublé d’un lettré, et qui occupait ses loisirs à écrire des

  1. The Mystics, par Mme K. C. Thurston, un vol. illustré, Londres, Blackwood, 1907.
  2. Voyez la Revue du 15 novembre 1904.