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ceux-ci par leur intérêt romanesque, et par l’excellence de leur mise en œuvre. Hélas ! je dois reconnaître qu’ils en sont bien loin, et que le plaisir qu’on prendra à leur lecture, pour être de même ordre, sera, sans aucun doute, moins copieux, et plus mélangé, et d’un accès plus pénible, que le ravissement qui jaillit des moindres créations du génie de Dickens. Joseph Vance et Alice Tout-Court ne sont pas seulement des romans trop longs, chacun avec ses cinq cents pages en petites lignes tassées : l’importance de leur contenu ne répond pas à ces dimensions, et je crains que leur longueur même ne les fasse toujours paraître un peu vides. Les deux qualités que j’ai dites tout à l’heure, le don de considérer ses fictions comme réelles et celui de s’en émouvoir autant et plus que des choses de la réalité ordinaire, ces deux qualités sont si spontanées et si fortes, chez M. de Morgan, qu’il s’abandonne à elles sans avoir le courage de les contenir : et il va se préoccupant des moindres épisodes de la vie de ses personnages, s’amusant de leurs farces et se désolant de leurs peines, assidu à ne point perdre un seul mot de leurs entretiens ; et le malheur est qu’il nous oublie, à force de s’intéresser à eux, ou bien, peut-être, s’imagine que ces personnages et ces aventures ne peuvent manquer d’avoir pour nous la même valeur et le même attrait que pour lui. Toujours est-il que ses deux romans sont des œuvres d’une imperfection singulière, mal composées, tantôt marchant avec trop de lenteur et tantôt courant trop vite à travers des années ; les intrigues, avec une allure plus « moderne » que celles de Dickens, les dépassent, je crois bien, en invraisemblance ; et parfois même nous avons l’impression que l’auteur, tout à coup, cesse de croire à la réalité de telle ou telle figure qui l’a jusqu’alors fiévreusement ému, et se contente de n’importe quel prétexte pour la congédier. Je sais que, jadis, les Esquisses de Boz n’avaient guère de quoi faire prévoir la parfaite beauté de Martin Chuzzlewit : mais après les Esquisses, sont venus l’Histoire du Club Pickwick et Olivier Twist, tandis que le second livre de M. de Morgan, au lieu de marquer un progrès analogue, nous montre plutôt une aggravation des défauts du premier. C’est proprement comme si le jeune auteur était entré dans les lettres avec la résolution de n’écrire ses romans que pour lui seul, — résolution qui, d’ailleurs, n’est point rare, au début d’une carrière, et qui peut même y porter de bons fruits, moyennant qu’on ne s’attarde pas trop à