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s’élargit autant que le permettent les dimensions de notre globe. Il ne s’agit plus, en effet, de grouper sous une même bannière des hommes parlant la même langue ; ou de s’incorporer le cours de tel fleuve ou le versant de telle montagne ; ou de conquérir, sous des prétextes quelconques, telle province ou tel duché, ou tel morceau de terre indûment enclavé dans un pays voisin, sur lequel on fait valoir des « droits » plus ou moins hypothétiques. Il s’agit d’annexer de vastes territoires, éloignés, fertiles, remplis de richesses, sur lesquels on s’en arroge de plus fantaisistes encore, et qu’on se partage dans des congrès en attendant de se les disputer sur des champs de bataille. Il s’agit surtout, pour chaque État, de développer indéfiniment son commerce, d’assurer des débouchés à ses industries, d’acheter ce qu’il veut vendre et de vendre ce qu’il a acheté, de remplir de ses produits les pays neufs et d’exploiter les territoires vierges, bref, de déployer à travers tous les obstacles cette activité marchande, créatrice de bien-être et manieuse d’argent, où parait s’incarner le suprême idéal de l’aryanisme impérialiste, comme eût dit Gobineau. Pendant quelques années, on a désigné cette tendance, propre à chaque pays, par une expression qui la caractérisait à merveille : on disait le panslavisme, le panaméricanisme, le pangermanisme, etc. ; ou, quand les pays dont on parlait n’offraient pas un cadre suffisant à cet hellénisme, on remplaçait « pan » par « grand, » et l’on disait la Grande-Serbie ou la Grande-Bulgarie. Chacun comprenait sans peine l’ensemble d’aspirations que définissaient et limitaient ces expressions très claires : toute ambition d’unité morale en avait disparu ; et l’on y voyait en quelque sorte, la « volonté de puissance » s’épanouissant sans scrupules, pour voler à la conquête des objets les plus dignes de sa rapacité.

Ainsi, le sens de ce mot « Impérialisme » nous semble maintenant plus précis : il représente simplement le besoin d’expansion propre à tous les êtres et à toutes les collectivités qui se développent, croissent, élargissent leur place, absorbent plus d’air, plus de lumière ou plus d’espace. Les arbres d’une forêt, quand ils étouffent dans leur ombre de timides végétations, sont des impérialistes individuels ; la forêt elle-même pratique l’impérialisme collectif, quand elle lance ses rejetons sur les cultures voisines ; les fourmilières, en marchant l’une contre l’autre, font de l’impérialisme national ; peut-être les chiens, en se