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rupture complète avec tout le système du moyen âge, » que sanctionne en quelque sorte l’alliance de François Ier avec le Sultan : preuve évidente que la solidarité chrétienne a fait son temps[1]. La politique nouvelle s’éloigne rapidement de l’idée d’unité, source première de la conception du Saint-Empire romain ; et pourtant, le Saint-Empire romain subsiste, ou plutôt végète, sans autorité, sans force, comme une ruine qui conserve quelque majesté, ou selon la comparaison classique que reprend M. Bryce, « comme une momie tirée de quelque sépulcre d’Egypte, prête à tomber en poussière au moindre choc[2]. » Autour de lui, et dans ses propres limites, les luttes se multiplient entre les peuples. A vrai dire, elles ne tendent plus à imposer une suprématie unique, impossible à réaliser, et moins encore à établir une autorité morale sur des rois et des royaumes dont chacun s’applique avant tout à réaliser sa propre destinée. Les théories dont ils s’efforcent d’appuyer leurs revendications particulières revêtent un caractère de plus en plus positif et matériel : qu’elles invoquent la configuration du sol ou la communauté de la langue, elles tendent surtout à fixer la démarcation des frontières : chaque État cherche à les élargir, sous des prétextes plus ou moins spécieux, qui parent mal, d’un vernis vaguement idéal, la brutalité croissante des appétits. Si l’on suivait l’histoire de la formation de la Prusse, on aurait, je crois, le type le plus complet et le plus réussi du travail à la fois circonscrit et efficace de la « volonté de puissance » en train de créer une nation.

Cette lutte pour la constitution des nationalités et la fixation des frontières a rempli le XVIIIe et le XIXe siècle. On voudrait la croire terminée. Si elle ne l’est pas encore, si peut-être elle nous réserve de douloureuses surprises, la forme de la concurrence entre nations qu’elle a représentée à travers tant de désastres, commence pourtant à paraître un peu démodée. Du reste, la « volonté de puissance » n’y perd rien, et déjà se manifeste d’une autre manière. A la lutte pour les frontières, épisode assez court de l’histoire, succède la lutte pour l’influence et pour l’expansion, qui provoquera sans nul doute des conflits aussi aigus, et probablement beaucoup plus sanglans, puisque les forces engagées augmentent toujours, et que le théâtre de leurs combats

  1. II, 439, 195.
  2. Loc. cit., 464.