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VI

Les idées de Laffitte sur le crédit s’étaient, avons-nous déjà dit, modifiées sous l’influence du progrès industriel provoqué par les applications des découvertes scientifiques et surtout par la révolution qui commençait à s’opérer dans les transports avec la locomotive et les chemins de fer. Les théories saint-simoniennes très souvent suggestives et parfois fécondes, lorsque l’on savait les dégager des utopies dont elles étaient entourées, ne furent pas étrangères à ses nouvelles conceptions en matière de crédit. Après avoir entièrement liquidé les affaires de son ancienne maison, il résolut de fonder une banque, au moyen de laquelle, suivant une formule dont il usa plus d’une fois et que l’on a employée depuis, il voulait faire pénétrer le crédit dans toutes les classes de la société et « favoriser le développement du commerce et de l’industrie. » Cet établissement devait s’appeler tout d’abord « Banque du Commerce et de l’Industrie. » Mais Laffitte fut obligé de renoncer à ce titre. La Banque de France, en effet, très jalouse de son monopole, à cette époque, prétendait à la propriété exclusive du mot « banque. » Elle poussa même, un moment, l’exclusivisme, lors de la fondation des banques départementales, jusqu’à essayer de contestera ces institutions le droit de prendre cette dénomination. Comme cela s’était déjà fait pour certaines maisons de crédit auxquelles on avait donné le nom de caisses ou de comptoirs, Laffitte appela sa banque : « Caisse générale du Commerce et de l’Industrie[1]. »

Elle fut fondée sous la forme d’une société en commandite par actions. La forme anonyme eût été assurément préférable, mais le Conseil d’État, gardien alors vigilant du privilège de la Banque de France, n’eût pas donné, sans de grandes difficultés, son autorisation. Le capital actif en fut fixé, au début, à la somme de quinze millions[2], chiffre assez considérable pour l’époque.

  1. Les établissemens fondés plus tard, après la Révolution de 1848, par J. Mirès, portèrent aussi le nom de Caisses.
  2. Le capital de 15 millions de francs était le capital versé. Le capital nominal était beaucoup plus élevé, soit 55 millions. Il se décomposait ainsi : 10 000 actions de 5 000 francs sur lesquelles on avait versé 1 000 francs, — ce qui faisait 10 millions de francs effectifs, — et 5 000 actions de 1 000 francs, entièrement versés, ce qui donnait bien un capital réel de 15 millions.
    Les actions de 5 000 francs devaient toucher un intérêt de 4 p. 100 des 1 000 francs versés, intérêt dont le bénéfice était étendu aussi aux versemens ultérieurs. Les actions de 1 000 francs avaient un avantage sur les premières, on leur bonifiait un intérêt de 5 p. 100. Mais les unes et les autres étaient égales devant la distribution des dividendes, qui se faisait dans la même proportion pour chacune d’elles.