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les idées de liberté économique et de liberté politique. Cette influence apparaît même ici nettement. Mais dès qu’il laisse de côté ces théories générales pour examiner, du point de vue technique, les conditions spéciales de la conversion, les argumens qu’invoque Laffitte en sa faveur sont loin d’être convaincans. Hâtons-nous de dire qu’il était, bien qu’ayant pris une part active à cette affaire, d’une entière bonne foi. Le défaut de son raisonnement tenait à une erreur d’appréciation que nous allons indiquer. Pour cela, il nous faut décrire à grands traits le mécanisme du projet de conversion présenté par Villèle.

Le projet de conversion de 1824 n’avait point une véritable cause financière. Villèle voyait surtout, dans cette opération, un moyen détourné de faire accepter l’indemnité promise aux émigrés sans trop soulever les protestations de l’opinion publique représentée en cette circonstance par les contribuables auxquels il aurait fallu, sans la réduction proposée des arrérages de la rente, demander de nouveaux impôts. En réalisant, par ce moyen, une économie annuelle de 28 millions sur les arrérages de la dette publique, on créait le gage d’un emprunt futur. On avait donc imaginé la combinaison suivante, suggérée au ministre, assurait-on, par quelques gros banquiers de Londres.

Les emprunts faits par la Restauration en vue de payer l’arriéré, les frais de guerre, l’indemnité aux alliés et tout le cortège des dépenses qui en résultaient, avaient été négociés en 5 pour 100 à des conditions assez onéreuses : c’est-à-dire à des taux très éloignés du pair. Le crédit, à ce moment, n’était pas à bon marché pour notre pays. Les premiers emprunts furent pris par des banquiers étrangers à des prix très bas, 55 et 57 francs. Plus tard, la situation s’étant, depuis les jours sombres de la période critique, sérieusement améliorée, un emprunt fut donné le 10 juillet 1823, à MM. Rothschild frères, au prix de 89 fr. 55. Après ce dernier emprunt qui précéda la conversion, le 5 pour 100 atteignit nominalement le cours de 98 francs. C’est alors que Villèle entreprit de préparer là son opération. Bien qu’il n’eût pas acquis encore une grande expérience financière, il comprit vite la nécessité de mettre entre le gouvernement et les rentiers de puissans intermédiaires qui, du reste, s’étaient offerts d’eux-mêmes à garantir l’opération après l’avoir, comme nous venons de le dire, très probablement suggérée au ministre. Une conversion de rentes en France était chose nouvelle si l’on