Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/185

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des dettes bien réellement perpétuelles, comme la dernière des trois phases du crédit public[1].

Au moment où il écrivait la brochure dont nous venons de parler, peu de temps après l’échec du projet de conversion présenté par Villèle, Laffitte était surtout dominé par l’idée de diminuer les différences souvent considérables, suivant les localités, du taux de l’intérêt en France : si ce taux oscillait à cette époque entre 3 et demi et 4 pour 100, dans des centres actifs comme Paris, Lyon, Marseille, Bordeaux, etc., dans la plupart des petites villes éloignées des régions industrielles et commerciales, il montait très haut la plupart du temps, au point de devenir usuraire, et d’atteindre 8, 9 et 10 pour 100. Il voyait dans la conversion le moyen de faire refluer des capitaux vers ces parties du pays où ils étaient rares. A son sens, en donnant aux rentiers un intérêt trop élevé, l’Etat, par une sorte de prime, concentrait les capitaux à Paris. De plus, la réduction des arrérages de la rente devait être une suggestion venue d’en haut, un exemple irrésistible qui entraînerait fatalement, pensait-il, une diminution du taux de l’intérêt là surtout où les capitalistes montraient les exigences les plus irréductibles. Or il avançait « que l’un des plus grands progrès à procurer à un pays, c’est de réduire le taux de l’intérêt. » Assurément ce taux se réduit bien lui-même sous l’influence des causes économiques ; il ne l’ignore pas et le dit, mais il fait appel au gouvernement pour hâter les choses. Il voit d’ailleurs très large. Il voudrait que l’on favorisât l’échange dans toutes les contrées où l’on produit, que l’on perçât, dans tous les sens, le pays, en aménageant les fleuves, en creusant des canaux, en ouvrant des routes, en construisant des ponts. Il prévoit de même, grâce à la facilité plus grande des transports, l’établissement d’industries dans les centres où les salaires sont encore bas. Le travail naîtra là où

  1. Ces trois phases étaient : l’emprunt remboursable par annuités ; l’emprunt perpétuel avec amortissement plus ou moins promis et effectué ; l’emprunt perpétuel qui ne devait jamais être remboursé. Ce dernier type était le type définitif, réalisant le vrai progrès. Les Saint-Simoniens, nous le verrons un peu plus loin, ont eu sur les impôts et sur les emprunts une doctrine très radicale : ils considéraient que tout emprunt d’Etat étant formé de capitaux oisifs, c’était troubler l’ordre du travail industriel que de lever des impôts pour les rembourser. Ils concluaient donc à l’emprunt perpétuel sans amortissement en affirmant que l’amortissement avait toujours été illusoire et que c’était une injustice de prendre de force, par l’impôt, des capitaux là où ils faisaient besoin pour rembourser des capitalistes incapables de les employer aussi fructueusement.