Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 42.djvu/174

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vaincu après Waterloo, confie les derniers débris de sa fortune, environ 5 millions de francs. Laffitte avait déjà, en 1814, rendu un service plus important encore au Duc d’Orléans quittant la France et pressé d’argent. Il lui avait pris au pair, des titres que d’autres n’avaient point voulu négocier à 20 pour 100 de perte. En des circonstances plus tragiques, il intervint de sa bourse avec le même désintéressement. Ses biographes n’ont pas manqué de rappeler son beau geste patriotique lorsque, pendant l’invasion, Blücher, installé à l’Hôtel de Ville, menaça de livrer Paris au pillage si on ne lui versait au plus tôt une contribution de guerre de 300 000 francs. La somme n’était pas énorme. Mais, dans l’affolement général, on ne savait où la prendre. Les caisses étaient vides ; du moins les capitaux-monnaie, demeurés à Paris, ne se montraient pas. La souscription organisée pour trouver ces 300 000 francs s’annonçait mal. Laffitte intervint et mit fin à cette pénible situation en souscrivant, seul, pour sa maison, la somme entière[1]. Après les Cent-Jours, alors que ce qui restait de l’armée française refusait d’opérer, vers la Loire, la retraite exigée dans le traité de capitulation, Laffitte, afin d’éviter une catastrophe, avança sans aucune garantie, pour permettre de nourrir ces troupes démoralisées par les privations et les revers, la somme de 2 millions de francs. On ne peut certes pas lui reprocher d’avoir profité de la misère du temps pour exploiter la gêne de l’Etat, toutes les fois que, dans certaines circonstances pressantes, le Trésor recourut à son aide.

Son désintéressement se manifesta encore quand Louis, commissaire provisoire des Finances, le nomma gouverneur provisoire de la Banque de France, le 6 avril 1814. Toutes les situations étaient, en effet, provisoires à ce moment. Laffitte accepta ces fonctions le lendemain. Il semble avoir été, dans les premiers jours, assez mal accueilli par ses collègues du Conseil général de la Banque dont il faisait partie depuis 1810. On l’accusa de mettre, en tête des lettres de sa propre maison, son titre de « gouverneur provisoire de la Banque de France, » puis celui

  1. Dans son article nécrologique sur Laffitte, le National a raconté ainsi comment se termina ce triste épisode de nos défaites : « On convoque les banquiers ; les banquiers affichent tous leur pauvreté et ils consentent, par grâce, à ouvrir une souscription où celui-ci verse 1 000 francs ; celui-là 500 francs, un autre même 100 francs. Laffitte en eut honte ; il déchira la liste et donna la somme entière exigée par Blücher. »