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aurait dû, au soin qu’il mit à ramasser une épingle dans la cour, en sortant de chez le banquier, l’heureuse chance d’être rappelé et accepté. Il est plus simple et plus naturel de croire que sa mine éveillée, son intelligence et l’ardent désir de se faire une place au soleil, avaient frappé Perregaux. Il entra donc à cette banque, comme un débutant, avec de modestes appointemens. Il apprit vite le métier. Les maisons de cet ordre avaient, à cette époque, un personnel très peu nombreux, et chaque commis, dont la spécialisation du travail n’était pas alors étroitement limitée, pouvait suivre les diverses opérations auxquelles il collaborait. Laffitte se distingua bientôt de ses camarades de bureau, non seulement par son zèle, mais encore par son initiative et ses rares aptitudes à comprendre les combinaisons de banque. Le temps passé chez le commerçant de Bayonne se trouvait être, pour lui, une école profitable. Ouvrard aussi avait commencé par le négoce. C’est un excellent noviciat pour qui veut bien connaître les opérations de crédit auxquelles se livrent les banques, plus particulièrement adonnées à l’escompte, comme l’était celle de Perregaux. Le moment était favorable aussi pour révéler les qualités maîtresses de Laffitte. Les difficultés que rencontrait le crédit, au milieu de la crise des affaires provoquée par la Révolution, exigeaient, pour être résolues, outre des connaissances techniques, de l’ingéniosité, c’est-à-dire de l’imagination, et de la décision, c’est-à-dire du caractère. Dans cette bataille, le commis de Perregaux gagna ses premiers galons. Il avait la chance d’être près d’un patron auquel ses employés n’étaient point indifférens. Perregaux eut, en effet, le mérite de diagnostiquer la valeur de Laffitte, de le récompenser dès les premières années, et de lui ouvrir toutes grandes les portes d’une carrière fermée, à cette époque surtout, à des hommes d’une aussi modeste origine.

Les anecdotes ne manquent pas sur les hommes que leur génie ou leur talent et la fortune ont, conduits aux plus hautes situations. Elles abondent sur Laffitte. En voici une racontée par Joseph Garnier[1]sur la façon dont s’y prit Perregaux pour augmenter les appointemens de son commis. Nous la reproduisons, parce qu’elle présente un innocent petit stratagème dans le goût de l’époque et dans la manière de Franklin. Perregaux,

  1. Dictionnaire d’économie politique. Ch. Coquelin et Guillaumin.