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Aujourd’hui le Dôme est désert. Le sacristain, voyant un étranger, accourt et veut me montrer les œuvres d’art de son église et tout d’abord la Descente de Croix du Baroccio ; mais, tandis qu’il tire le rideau qui la recouvre, je m’éloigne. A quoi bon revoir cette toile déclamatoire qui m’a laissé le souvenir d’une scène d’épilepsie et ne dégage aucune émotion ? Combien, dans sa rude simplicité, est plus poignante la Madone avec quatre Saints de Signorelli ! Voilà un admirable artiste, le précurseur direct de Michel-Ange. A l’époque où il peignit ce tableau, nul, pas même Mantegna, n’avait une connaissance plus profonde de l’anatomie. Quelle sobriété, quelle gravité d’ordonnance, quelle force sévère et parfois même un peu âpre ! Vraiment, c’est devant cette œuvre qu’il faudrait s’arrêter après avoir regardé les Pérugins de la Pinacothèque : au sortir du milieu factice et froid où se plut l’imagination du Maître de Pérouse, on goûterait mieux encore la joie de se trouver devant le réel, devant la vie.

En quittant le Dôme, je m’engage dans le dédale des petites rues qui s’enchevêtrent en tous sens, montent, descendent, se croisent, se terminent en escaliers ou aboutissent à une terrasse par-dessus laquelle on aperçoit le moutonnement clair des oliviers et l’ondulation des collines souples, où les maisons des bourgs se serrent les unes contre les autres comme des nids d’hirondelles au bord d’un toit. Rien de plus émouvant que ces places minuscules, comme la Piazza di Porta Sole ou la Piazza delle Prome suspendues au-dessus des ravins qui séparent les divers faubourgs de la ville. L’âme du passé flotte sur elles, sort des vieilles maisons, rôde autour des jardins discrets et silencieux endormis à l’ombre des murs d’où dépassent seulement les quenouilles endeuillées des cyprès. Des branches de saule et de vigne vierge pendent aux grilles, retombent le long des fers rouilles, lasses et pensives, comme si elles se souvenaient. Le gazon croît aux fissures des dalles, entre les pavés usés, et recouvre le sol, assourdissant, ouatant les bruits. Sur les murailles aussi, la mousse jaillit aux joints des pierres, si abondante parfois que les maisons en sont comme feutrées et absorbent les vibrations sonores. Moellons déchaussés des portes en ruines, toits où l’herbe pousse, tout a ce grand air résigné, mais fier des choses d’autrefois, qui attendent la mort sans lutter, sachant que rien ne pourra les faire revivre. Pourtant, une