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où tout parle encore d’attaque et de défense, entre ces vieux palais aux fenêtres grillées, sur ces dalles qui n’ont pas bougé depuis les siècles où elles furent si souvent ensanglantées, comment ne pas songer à cette terrible famille dont on a pu dire que les enfans naissaient avec l’épée au côté et dont pas un des membres ne mourut de mort naturelle ? Que de scènes tragiques virent les hautes murailles de ce Municipio, masse sombre et farouche qui ne s’égaye d’ouvertures, de colonnades et d’ogives qu’à la hauteur où l’assaut n’est plus à craindre ! Les églises elles-mêmes étaient rudes et guerrières, comme cet étrange Sant’ Erculano, aux murs crénelés, où bien des messes furent dites sans que, sur le sol, les taches de sang aient été effacées. Un matin, avant une cérémonie, comme l’eau manquait, il fallut laver les murailles du Dôme avec du vin.

N’est-ce pas d’ailleurs l’un des phénomènes les plus curieux de l’histoire d’Italie, ce mélange perpétuel de barbarie et de religion qui fut à l’aurore de la Renaissance ? Sigismond Pandolfe fut capitaine de la Sainte-Église et commanda à L.-B. Alberti le revêtement du temple de Rimini en l’honneur de sa quatrième femme, après avoir répudié la première, empoisonné la seconde et étranglé la troisième. Mais nulle part le contraste ne fut plus saisissant qu’ici, dans ces bourgs qui vivaient de pillages et de meurtres, où la guerre régnait de cité à cité, de quartier à quartier, de famille à famille, et où fleurirent cependant, entre les pavés rouges de sang, les œuvres délicates de l’école ombrienne et de la piété franciscaine. Saint François lui-même, d’abord guerrier, n’est-il pas le symbole de l’Ombrie belliqueuse et mystique où le chêne et l’olivier alternent leur feuillage sur les coteaux ?

La dévotion des Italiens aime ce qui parle aux yeux. A une grand’messe célébrée, l’an dernier, par le cardinal de Ferrare, qui présidait les fêtes du cinquantenaire, j’ai vu les gens entrer comme à un spectacle, aller d’un autel à un autre, s’extasier bruyamment sur la décoration de l’église et les illuminations. Les femmes se promenaient, l’éventail à la main, s’arrêtaient pour suivre un instant l’office, faisaient une génuflexion et un signe de croix, puis reprenaient leur promenade, s’entretenaient avec des voisines rencontrées, admiraient la Madone de la Grâce que, du haut de la nef, de mouvantes projections lumineuses éclairaient comme une étoile de ballet.