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pensée s’ennoblisse. Autant de bourgs dans la plaine ou sur les coteaux, autant de noms glorieux et d’œuvres illustres. En oubliant même Pérouse, — où naquit et grandit toute une école, où : travaillèrent les Pisano et l’Angelico, d’où sortit le Pérugin, où étudia Raphaël, — voici Assise avec Cimabue et Giotto, Spello et ses Pinturicchio, Trevi et ses Spagna, Spolète et ses Filippo Lippi, Montefalco et ses Gozzoli. Les yeux errent du vieux Tibre au Clitumne sacré, du Topino chanté par Dante aux toits de la Portioncule, des collines du Trasimène aux murailles de Spolète où régna Lucrèce Borgia. Du haut de ce même belvédère, les Pérugins virent passer les cohortes étrusques et les légions de Flaminius, les foules qui suivaient saint François, et les armées des papes, et les soldats de Napoléon : vraiment l’on pourrait graver sur le petit portique qui se dresse sous les chênes verts du jardin, une inscription analogue à celle d’une des portes de Sienne : Cor magis tibi Sena pandit.

A mon arrivée, quelques personnes étaient assises sur les bancs de pierre et, le Bædeker à la main, cherchaient à reconnaître les villes, ou à suivre le cours du Tibre qui se perd au milieu de la verdure et des champs. Mais, la nuit tombant, elles sont parties. Seul un vieillard est resté et se promène de long en large, tenant par la main une petite idiote qui balbutie d’une voix monotone des mots sans suite.

Peu à peu l’obscurité s’étale. Les collines semblent se rapprocher et former un cercle plus étroit autour de la plaine. Les montagnes s’infléchissent, enferment les vallons dans leur ombre, s’enveloppent de brume. Une cloche sonne tout à côté, au clocher de San Pietro, grêle et fêlée, et semble, suivant la mélancolique expression de Dante, « pleurer le jour qui se meurt. » Le vent de tramontane se lève, aigre et froid. Je rentre rapidement par le Corso Cavour désert, laissant derrière moi la petite idiote dont la voix lamentable me poursuit.

Une année précédente, presque à pareille époque, j’avais eu, en arrivant à Pérouse, l’impression d’entrer dans une autre ville, tant il y avait de mouvement et d’agitation dans les rues. Certes, M. Schneider, dans son beau livre sur l’Ombrie, exagère un peu son rôle d’explorateur quand il nous dit qu’elle est « restée dans une solitude presque arcadienne » et qu’elle est « aussi peu connue