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d’influence entre elles s’était beaucoup rétréci. L’Afghanistan, le Thibet et le golfe Persique, où l’Angleterre avait acquis une situation privilégiée, étant hors de cause, le litige ne pouvait porter sérieusement que sur la Perse continentale. Et même, dans ce pays dont la Russie et l’Angleterre avaient déclaré à diverses reprises vouloir maintenir l’indépendance et l’intégrité territoriale, la lutte ne pouvait se poursuivre sur le terrain politique ; elle se trouvait bornée au domaine économique ; encore chacune des deux parties en présence avait-elle circonscrit son action dans une région qu’elle s’était soigneusement réservée. Un terrain d’entente était tout trouvé, et il était d’autant plus aisé de s’y tenir que les circonstances l’avaient imposé depuis la première moitié du XIXe siècle et qu’on s’y était toujours tenu depuis : c’était la continuation de la politique adoptée dès 1834 par l’Angleterre et la Russie à l’égard de la Perse. Le gouvernement russe et le gouvernement anglais pouvaient maintenir l’intégrité de cet État comme par le passé. Ils n’avaient qu’à se mettre d’accord pour l’avenir sur la part qu’ils entendaient, au point de vue économique, s’attribuer.

Sans doute, il n’existait, tous comptes faits et toutes considérations pesées, aucune opposition radicale entre les intérêts de l’Angleterre et de la Russie ; mais c’est ici le lieu de se demander si ces deux puissances avaient avantage à conclure une entente qui réglât leur situation respective sur le plateau de l’Iran et le long de la frontière du Turkestan et de l’Inde.

On concevra sans peine que la marche de la Russie et de l’Angleterre, au-devant l’une de l’autre en Asie Centrale jusqu’à ce qu’elle se rencontrassent sur les bords de l’Oxus, n’ait pas été sans créer un sentiment de malaise et de méfiance entre Londres et Saint-Pétersbourg. Les Anglais surtout étaient hantés par la perspective d’une attaque possible de leur frontière Nord-Ouest, et par le spectre des troupes cosaques débouchant dans la haute vallée de l’Indus. A certains momens, ce malaise avait provoqué un état de tension d’où aurait pu sortir un conflit entre « l’Ours et la Baleine. » On avait été à deux doigts de la guerre en 1884, lors de l’attaque des avant-postes près de Pendjeh par le général Komaroff. La prudence et la sagesse des deux gouvernemens avaient alors arrangé les choses, et fort heureusement pour eux. On peut en effet se demander si les avantages qu’eût retirés le vainqueur eussent valu les risques