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fêtions souvent et gaiement le jour qui vous donna à nous, chère petite âme, seront accompagnés par les quelques réflexions qu’appelle le caractère sérieux de notre époque. Mon cher amour, vous avez maintenant quatorze ans, vous êtes arrivée à un moment où les délicieux passe-temps de l’en fan ce doivent être môles à des réflexions, qui appartiennent déjà à un âge plus mûr. Je sais que vous avez très bien travaillé, mais le moment arrive où il faut former le jugement, veiller au caractère, bref où le jeune arbre prend la forme qu’il conservera pendant toute la vie.

Pour atteindre ce but, il est indispensable d’accorder un peu de temps à la réflexion. La vie dans une grande ville s’y prête peu ; cependant, avec une méthode ferme, on peut y arriver.

L’examen de conscience est la partie la plus importante de l’affaire. Une manière d’y procéder utilement consiste, par exemple, à récapituler chaque soir les événemens de la journée et les motifs qui vous ont fait agir, et à essayer de deviner quels auraient été les mobiles des autres. Un heureux naturel comme le vôtre reconnaîtra facilement si les causes premières de ses actes sont de bon aloi. Les personnes, qui occupent de hautes positions, doivent surtout se défendre contre l’égoïsme et la vanité. Un individu, dans une situation élevée et importante, verra beaucoup de monde empressé à servir son égoïsme et à flatter et encourager son orgueil. Les gens personnels sont cependant malheureux, victimes de désappointemens constans, toujours sûrs d’être détestés de tout le monde.

La vanité, d’autre part, est un moyen qu’utilisent habilement les gens ambitieux et intéressés, pour faire de vous l’instrument qui servira leurs desseins, trop souvent contraires à votre bonheur, quand ils ne tendent pas à le détruire.

Apprendre à se connaître et à se juger sincèrement et impartialement, tel est le but élevé auquel doivent viser nos efforts : on ne peut l’atteindre que par des examens de conscience constans et réfléchis.

La situation de ceux qui appartiennent à ce qu’on appelle ordinairement le grand monde, est devenue depuis peu extrêmement difficile. Ils sont attaqués, calomniés, jugés avec moins d’indulgence que les individus quelconques. Ce qu’ils ont ainsi perdu, ils ne l’ont à aucun degré regagné autrement. Depuis la Révolution de 1790, ils sont bien moins en sûreté qu’auparavant,