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le Thibet. De ce côté, le gouvernement anglo-indien avait pris l’avance en faisant occuper dès le milieu du XIXe siècle par son vassal, le maharajah de Cachemire, le pays au-delà de l’Himalaya qu’on est convenu d’appeler le Petit Thibet et le Moyen Thibet. En 1888, il mettait la main sur la vallée du Sikkim, qu’on considère comme la meilleure route entre le Grand Thibet et l’Inde, et cherchait à nouer des relations d’amitié avec le Taschi-Lama, de Chigatsé, l’un des deux chefs de la hiérarchie monacale lamaïque et le rival du Dalaï-Lama, de Lhassa. Menacé à la fois dans son autorité politique et religieuse, ce dernier chercha à s’appuyer sur la Russie qui accueillit favorablement ses ouvertures, et l’on vit, en 1897, arriver avec une escorte à Lhassa le major Kozloff, et un sujet russe, Djorgieff, qui prit en mains la direction des affaires civiles et fut en outre nommé grand maître de l’artillerie et ministre du trésor. En même temps des personnages thibétains chargés de missions secrètes allaient à Livadia et à Saint-Pétersbourg, et une cinquantaine de sujets russes bouddhistes étaient installés dans les principaux monastères du Thibet. En présence d’une situation qui établissait d’une manière prépondérante et même exclusive l’influence russe à Lhassa, le gouvernement anglo-indien ne vit d’autre parti à prendre que de brusquer les choses. A la tête d’une expédition, le colonel Younghusband fit son entrée à Lhassa le 3 août 1904. Le Dalaï-Lama dut prendre la fuite ; le Taschi-Lama, l’ami des Anglais, fut proclamé à sa place, et un traité régla les relations qui devaient exister désormais entre le gouvernement de l’Inde et le Thibet. Aux termes de ce traité, trois marchés sont ouverts sur la frontière, à Yatoung, à Gyantsé et à Zartok ; un tarif avec suppression des douanes intérieures est établi ; une indemnité de guerre est stipulée, et la vallée de Chumbi occupée jusqu’au paiement de cette indemnité ; les forts de la frontière sont démantelés. De plus, il est entendu que, sans le consentement de la Grande-Bretagne, nulle portion du territoire thibétainne pourra être vendue, louée ou hypothéquée à une puissance étrangère. Aucune puissance étrangère ne pourra s’immiscer à un titre quelconque dans le gouvernement ou l’administration des affaires du Thibet ; ni envoyer en ce pays des agens pour s’y occuper de la conduite des affaires ; ni y obtenir l’autorisation de construire des routes, des chemins de fer, des télégraphes, ou d’exploiter des mines.