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on eût pu en dresser le diagramme ; l’aboutissement en était fatal, et, dès 1902, on pouvait écrire : « Cette anarchie dormante n’éclaterait brusquement au dehors que si ce modèle des contribuables, le contribuable français, « sortait de son caractère » et refusait de payer. »

À partir de là, ce n’est plus la descente, c’est la chute. Jusque-là, la faiblesse de quelques ministères modérés avait préparé le terrain, et comme savonné la pente. Sur cette pente, en 1899, M. Waldeck-Rousseau nous avait lancés froidement, avec un plaisir raffiné d’art politique paradoxal, quand il fit, et y réussit, la gageure d’allier, dans son cabinet, les souvenirs de « la semaine sanglante » et l’avenir de Saint-Mandé, M. le général de Galliffet et M. Millerand. Peut-être le socialisme de M. Millerand ne fut-il jamais bien terrible, ni même, — autant qu’on puisse exactement se représenter ce qu’est le socialisme, — bien déterminé ; peut-être fut-ce et est-ce plutôt un étatisme très agissant, dans lequel il n’y avait pas de quoi frapper d’incapacité gouvernementale et tenir à jamais écarté du pouvoir l’homme de talent qui le professait. Mais un homme politique n’est pas uniquement ce qu’il est, il est ce qu’il est et ce qu’il passe pour être. Cette combinaison, plus ou moins apparente, plus ou moins réelle, de communisme et de répression de la Commune fut donc en elle-même un mauvais spectacle donné au pays et qui blessa à fond la rectitude de sa conscience et de son intelligence. Vainement on voudrait excuser l’ancien président du Conseil sous prétexte qu’il ne s’était jeté dans cette extrémité que parce qu’ayant essayé d’abord de faire le ministère avec ses amis et leur ayant offert des portefeuilles, il avait été repoussé. Je ne sais ce qu’il y a de vrai dans cette histoire, et j’ai même lieu de croire que ce n’est qu’une fable ; mais fût-elle vraie que, si elle expliquait quelque chose, elle n’excuserait encore rien. Lorsqu’on ne peut pas faire un ministère avec son parti, on ne le fait pas : c’est tout le régime parlementaire ; et lorsqu’on fait un ministère avec un autre parti que le sien, lorsqu’on amalgame pour le faire les partis les plus opposés, il n’y a plus de régime parlementaire, et ce n’est plus seulement la sincérité, c’est la moralité, c’est presque la probité publiques qui en souffrent. Vinrent ensuite le complot monarchiste, plébiscitaire, nationaliste, antisémite, la parade de la rue de Chabrol, la Haute-Cour, l’entrée en scène d’anarchistes qui ceux-là n’étaient pas auparavant des anarchistes de gouver-