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de Proudhon, avait semblé un paradoxe : « Il est certain que nos 10 millions d’électeurs se sont montrés, depuis 1848, en intelligence et en caractère, inférieurs aux 300 000 censitaires de la Monarchie de Juillet ; » non pas inférieurs, mais pas supérieurs non plus, et à peine égaux. Comment d’ailleurs n’auraient-ils pas fait de mauvais choix, n’ayant guère devant eux qu’un mauvais lot de candidats, bourrés et comme fourrés de formules, de prétendus principes, de préjugés, sans autorité, souvent sans études, parfois sans situation, voués d’avance à être le jouet des hasards ministériels ou la proie des comités électoraux ? De par cette invasion de demi-barbares, d’« analphabets » de la politique, et de par l’élargissement même du suffrage, — qu’il n’est plus aujourd’hui permis de regretter, — allait être de moins en moins remplie la « condition sociale » du régime parlementaire, de ce régime qui suppose et qui exige une classe de gouvernement très instruite, très attachée au bien public, très détachée de son propre bien, une aristocratie ou du moins une élite, très forte, très résolue, qui ose faire, et des masses très dociles, très persuadées qu’on fait pour elles, qui laissent faire. Mais, parce que cette condition manquait, la machine à légiférer donnait une production de plus en plus défectueuse ; un à un, les vices en apparaissaient : les assemblées étaient trop nombreuses, les sessions trop longues ; on bavardait, on palabrait, on discourait trop ; c’était une émulation, une rivalité ; les rangs se gagnaient par l’éloquence, la hiérarchie se fondait sur elle ; et, comme le régime était tout oratoire, on immolait tout à l’effet. Quelle méthode ! Aucune ; et quelle procédure ! Une dérision, avec le « déblaiement » présidentiel des projets de loi d’intérêt local, la suppression de la seconde lecture par l’abus de la déclaration d’urgence, le vote des absens ou des banquettes, le sacrifice de l’utile et du possible au « battage » des discussions inutiles, au « bluff » des propositions impossibles.

Ce ne serait encore rien ; mais le régime parlementaire, fait pour être un outil de liberté, peut, maladroitement ou perfidement manié, devenir un instrument d’oppression, et il l’est devenu, par la passion des uns et la faiblesse des autres, par la fureur épidémique des sectes et la terreur endémique des assemblées, cette folie, cette phobie spéciale, la peur de la non-réélection. À la dévorante gueule du Cerbère électoral, vomissant à flots des bulletins de vote, et dont on a sans cesse aux trousses