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et le Dauphin aussi, à qui il en parla de même[1]. Et non seulement Boudin donna cet avertissement au Dauphin et à la Dauphine, mais « il le débita en plein salon d’un air effarouché, et épouvanta tout le monde, » assurant que l’avis était bon sans qu’il sût cependant d’où l’avis lui venait, ce qui ne laissait pas d’être contradictoire, car, fait avec raison observer Saint-Simon, « s’il ignoroit d’où lui venoit l’avis, comment pouvoit-il l’assurer et le juger bon ? » A vingt-quatre heures de là, semblable avis aurait été donné au Duc de Bourgogne dans une lettre de son frère le roi d’Espagne. Dans cette lettre, il n’était question nettement que du Duc de Bourgogne lui-même, et de la Duchesse seulement en termes vagues et obscurs[2]. « On eut l’air, ajoute Saint-Simon, de mépriser des choses en l’air dont on ne connaissoit point l’origine, mais l’intérieur ne laissa pas d’en être frappé et il se répandit un silence de sérieux et de consternation dans la Cour à travers des occupations et des amusemens ordinaires[3].

A quelques jours de là, la Duchesse de Bourgogne tomba malade. Le matin du jour où elle ressentit les premiers symptômes du mal qui devait l’emporter, le duc de Noailles, qui était à ce moment capitaine des gardes en quartier, donna à la Dauphine une fort belle boîte pleine d’excellent tabac d’Espagne. Il lui avait fait ce présent un peu en cachette. La mode de priser, qui s’était introduite depuis peu parmi les jeunes dames de la Gour, était fort mal vue par le Roi, et il lui aurait déplu que la Duchesse de Bourgogne s’y livrât. Aussi ne le faisait-elle qu’en cachette, et comme elle avait trouvé fort bon le tabac d’Espagne que le duc de Noailles lui avait donné, elle avait mis la boîte dans son cabinet, et l’avait laissée sur la table afin de pouvoir priser à son aise sans être vue. Le lendemain, étant déjà en lutte avec les premiers symptômes de son mal, elle pria Mme de Lévis, une de ses dames, d’aller chercher cette boîte et de la lui apporter. Mme de Lévis ne la trouva point dans le cabinet où la Duchesse de Bourgogne lui dit l’avoir laissée. On chercha cette boîte partout ; il fut impossible de la retrouver. On ne voulut point faire tapage de cette disparition, car on craignit par là de révéler une

  1. Saint-Simon. Édition Chéruel de 1857, t. X, p. 64.
  2. Dans la dernière de ces lettres inédites du Duc de Bourgogne tirées des Archives d’Alcala auxquelles nous avons fait de fréquens emprunts, il n’y a rien qui corresponde à un avis de ce genre. Cette lettre est du 8 février.
  3. Saint-Simon. Edition Chéruel de 1857, t. X, p. 65.