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les semelles, à les ébarber, à piquer les tiges, à percer les boutonnières, à rogner les talons, à monter, estamper et fraiser, etc. Pour confectionner à la main cent brodequins communs, il fallait 1 436 heures, et ils revenaient à 408 dollars ; exécutés à la machine, il suffit de 154 heures et ils coûtent 35 dollars.

L’une des fabriques, où la main-d’œuvre est ainsi réduite au dixième de ce qu’elle était auparavant, a pour maître un ancien ouvrier, M. Cross, qui, sur des pancartes de carton clouées au mur dans chaque salle, résume, en guise de conseils aux camarades, son programme et sa vie dans le texte suivant : « L’idée de Cross. Faire le bon ouvrage, au bon moment, de la bonne manière ; faire les choses mieux qu’elles n’ont jamais été faites avant ; éviter les erreurs, connaître les deux côtés de la question, être courtois, être un exemple, travailler pour l’amour du travail ; devancer les besoins, développer les ressources, ne pas connaître d’obstacles, maîtriser les circonstances ; agir plus d’après la raison que d’après les règles, ne se contenter de quoi que ce soit d’imparfait. »

La présence de ce tableau ne donnera pas sans doute aux milliers de cordonniers et de piqueuses de bottines, alignés dans ces ateliers, le moyen de faire fortune, pas plus que la lecture de Berquin ne suffit à former des enfans sur le modèle, du Petit Grandisson ; mais elle suppose un état d’âme particulier à l’Amérique, chez le patron qui placarde ces sentences ingénues et chez les prolétaires à qui il les dédie sans crainte de passer pour vaniteux ou ridicule. Et cet état décèle entre le capital et le travail, aux Etats-Unis, l’absence de cet antagonisme imbécile que des malfaisans entretiennent ailleurs, pour en vivre. Un autre avis, imprimé ici, est ainsi conçu : « Ne supposez RIEN, ne devinez RIEN ; si vous ne savez pas, interrogez ! Une fois sûr que vous êtes dans le vrai, alors ALLEZ DE L’AVANT ! »

Go ahead, volonté et confiance dans la vie, c’est ce que l’on aspire à pleins poumons dans l’air américain. Obtenir de l’individu le maximum d’efforts, de l’usine le maximum de rendement, tel est le but. C’est un principe là-bas de maintenir les manufactures au plus haut point d’activité qu’elles puissent atteindre. Pour ne pas ralentir cette intensité, qui vaut au salarié un travail continu et à l’acheteur indigène des prix plus réduits, les usiniers trouvent avantage à exporter leur excédent, fût-ce à perte. Ces concessions faites aux étrangers ne portent