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vent par là séduire les électeurs : aussi la lutte contre eux a-t-elle été sans merci. Ils ont été mis au ban de la société politique. Ils sont traqués plus durement encore, plus impitoyablement que les purs réactionnaires. On en a eu une preuve éclatante dans l’acharnement haineux déployé contre M. Méline par l’administration préfectorale et sous-préfectorale, non seulement dans son arrondissement, mais jusque dans son canton. Si M. Méline est ainsi traité, qu’on juge des autres ! Nous admirons les électeurs qui leur restent fidèles : ils s’exposent à toutes les tracasseries, à toutes les persécutions, à toutes les vexations, de la part d’une administration sans scrupules, devenue dans le pays tout entier une immense officine électorale, et qui sacrifie droit, justice, équité, au bas intérêt dont elle a la charge, avec un cynisme qui n’a encore été égalé dans aucun temps, ni dans aucun pays. On ne s’en rend pas compte à Paris ; il faut connaître la vie de province : elle est devenue intolérable. Le pays a été criminellement coupé en deux par les mêmes hommes qui dénonçaient naguère le péril d’avoir deux Frances et qui prétendaient en assurer l’unité. Elle est belle, leur unité ! Mais nous ne voulons pas sortir de notre sujet, et nous nous contenterons de demander si on espère que les progressistes apporteront à titre gratuit leurs voix à la majorité gouvernementale, tout en restant dans les départemens la cible de l’administration. Qu’à cela ne tienne, dira-t-on : le gouvernement donnera des instructions nouvelles à ses agens, et, en vertu de l’admirable discipline qui la distingue, notre administration marchera comme un seul homme dans une voie nouvelle. Il n’y a qu’un malheur : notre administration est, en effet, très disciplinée, mais ce n’est pas au gouvernement qu’elle obéit. M. Hervé trouverait seul le mot tout à fait exact pour exprimer le cas qu’elle fait d’un gouvernement que la coalition de quatre députés fait trembler. Les ministères passent, et il y a beaucoup d’autres influences plus durables : c’est à celles-là que les préfets et leurs succédanés obéissent, influences d’ailleurs diverses suivant les hommes et les lieux, mais toujours impérieuses, violentes et rapaces, qui livrent toute notre organisation administrative à une anarchie sans précédens. Voilà ce que dix années de gouvernement radical et socialiste ont fait de la France ! Et si on nous demande comment un tel état de choses peut durer depuis si longtemps, nous répondrons que nous n’en savons rien. Nous constatons qu’il dure, et nous n’avons aucun espoir de le voir corriger par un gouvernement sans autorité, qui ne peut vivre lui-même qu’en le subissant. Il durera jusqu’au jour où le pays, révolté et dégoûté,