Page:Revue des Deux Mondes - 1907 - tome 41.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vague. — Ils seront bien reçus s’ils viennent à nous, dit M. Ranc : mais pourquoi iraient-ils aux radicaux si les radicaux restent ce qu’ils sont ? Que faudrait-il penser d’eux s’ils concluaient sans conditions une alliance avec les radicaux, et s’ils acceptaient ceux-ci tels quels, c’est-à-dire tout surchargés, encombrés, empêtrés d’une politique que les socialistes leur ont imposée et qu’ils ont docilement subie ? En agissant ainsi, les progressistes se perdraient à leur tour sans profit pour personne : il y aurait deux naufrages au lieu d’un.

La grande politique a été compromise chez nous par ce qu’il y a eu de louche et d’inintelligible pour le pays dans les petites combinaisons et les petits arrangemens de groupes et de sous-groupes parlementaires. C’est de là qu’est venue la maladie dont le parlementarisme est en train de mourir. Si un rapprochement s’opère entre radicaux et progressistes, — et nous ne contestons pas que ce rapprochement soit désirable, — il ne doit pas avoir l’air d’être une intrigue de plus, après tant d’autres. Pourquoi donc les progressistes se sont-ils séparés des radicaux ? Les radicaux, favorisés par la chance électorale depuis 1898, se sont crus maîtres de la situation, et dispensés désormais d’avoir le moindre ménagement pour les progressistes. Au contraire, ils en ont eu, et même beaucoup, pour les socialistes qu’ils considéraient comme les hommes du lendemain ; ils en ont eu tant qu’ils sont bientôt tombés sous leur domination. On sait ce qui en est advenu. Les radicaux, alliés des socialistes et bientôt domestiqués par eux, ont fait une politique à laquelle les progressistes ne pouvaient pas s’associer sans se déshonorer. Nous ne demandons pas qu’on y renonce avec éclat, en faisant un grand Mea culpa ! sur sa poitrine. Les hommes et les partis font rarement de ces confessions et de ces répudiations publiques. Il est clair toutefois que, si la politique d’hier est intégralement continuée demain, les progressistes ne pourront pas plus s’y associer demain qu’ils ne l’ont fait hier. C’est pour eux un cas de conscience, et c’est aussi une question de vie ou de mort, non pas peut-être à la Chambre qui compte de moins en moins, mais dans le pays.

Le malheur est qu’on mène les hommes avec des mots, et parmi les mots qui ont le plus de prise sur eux, au moins dans les parlemens, il n’y en a pas de plus puissant que celui qui consiste à dire : Pas de réaction ! M. Jaurès, dans son discours, annonce et dénonce déjà comme un épouvantail la réaction qui se prépare. Il faut sans doute tenir compte de cette faiblesse. Les progressistes ne peuvent pas demander qu’on revienne dès aujourd’hui sur les faits le plus