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« Nous » ferons ceci ; « nous » ferons cela ? Du parti socialiste, évidemment. Ce parti a le droit, comme tous les autres, d’essayer de faire prévaloir ses idées par la voie légale ; mais, pas plus que les autres, il n’a le droit de recourir à l’insurrection contre la volonté nationale lorsqu’elle a été exprimée par ses organes constitutionnels, ni de se dresser comme un autre gouvernement contre celui du pays, surtout dans les heures tragiques où, à travers ce gouvernement, on aperçoit distinctement la patrie. Garder les fusils que la France a mis entre les mains de ses enfans pour les tourner contre la France elle-même, c’est le crime de la Commune : l’histoire l’a marqué dans le passé d’une flétrissure qui ne s’effacera pas. Et cependant, il faut le reconnaître, si le crime de 1871 reste sans excuses, ceux qui l’ont commis peuvent en trouver dans l’horreur des circonstances où ils étaient, dans ce qu’on a appelé la folie du siège, dans la fièvre qui poussait leur exaltation jusqu’au délire. Mais que M. Jaurès vienne aujourd’hui, à froid, par hypothèse, avec un misérable dilettantisme d’esprit, prêcher l’insurrection contre la patrie en face de l’étranger, c’est un fait qui n’a pas besoin d’être qualifié. On avait déjà vu M. Jaurès danser sur une table de café en chantant la Carmagnole. Il chante aujourd’hui, à sa manière, le couplet de l’Internationale qui avait fait reculer d’horreur le général André lui-même, celui où le soldat est invité à garder ses balles pour les tirer contre ses officiers. Tel est le progrès de sa pensée, progrès très naturel d’ailleurs et d’une logique parfaite : c’est bien là qu’il devait en venir.

Comment les radicaux ne l’avaient-ils pas prévu ? Ce que M. Jaurès vient de dire, ce n’est pas la première fois qu’il le dit : la seule différence est qu’autrefois il le disait moins haut, et qu’on pouvait avoir l’air de ne pas l’entendre. Tout porte à croire qu’il n’aurait pas mieux demandé de continuer de parler à demi-voix en s’adressant à la cantonade, au lieu de venir hurler sur le devant de la scène ; mais, comme M. Hervé hurlait lui-même, et s’attirait par là une grande considération, M. Jaurès s’est cru obligé d’en faire autant. En somme, ce que lui reprochent les radicaux, c’est d’avoir crié trop fort : et lui-même reproche-t-il autre chose à M. Hervé, lorsqu’il ose lui reprocher quelque chose ? C’est pourquoi nous nous demandons dans quelle mesure on peut compter sur les radicaux lorsque, après avoir parlé de rupture et de divorce avec les socialistes, ils adressent aux progressistes quelques sourires timides et leur tendent avec embarras un ou deux doigts de la main. Les progressistes montreraient quelque naïveté s’ils se laissaient prendre à des avances d’un caractère aussi